Au mois de janvier, disparaissait le grand Russell Banks ( voir K216) que nous avions eu le bonheur d’accueillir à la librairie. Nous lui avions décerné le Prix Lucioles en 1995 pour son roman  «De beaux lendemains».

 Trois ans plus tard nous couronnions «Le grand passage» de Cormac McCarthy. Nous savions évidemment qu’il ne se déplacerait pas pour le recevoir -lui qui refusait de parler de ses livres considérant l’inutilité de commenter son œuvre, et tenait la presse à distance-,  mais j’avais tout de même demandé à Olivier Cohen, le patron des éditions de l’Olivier, de lui annoncer la nouvelle.

  Quelques jours plus tard, Olivier Cohen m’appelait , encore sous le coup de  l’émotion, pour me dire que le Grand Cormac, dont il n’avait jamais entendu la voix, venait de lui téléphoner  longuement: « McCarthy commence par m’expliquer que cette distinction ( le prix Lucioles!) était pour lui de la plus haute importance, et qu’il aurait volontiers fait le déplacement si sa femme n’avait pas été sur le point d’accoucher. Puis il me pria de bien vouloir descendre à Vienne pour recevoir le prix en son nom. » Même si je sais bien que McCarthy n’avait pas vraiment l’intention de venir à Vienne, cette anecdote souligne l’indispensable rôle de passeurs des éditeurs et des libraires… et me revient en mémoire au moment de la disparition de cet immense écrivain.

   Je l’avais découvert avec «Méridien de sang » publié chez Gallimard en 1988, livre oscillant entre «western métaphysique et thriller rural» dont la violence m’avait suffoqué : «Le livre le plus sanguinaire depuis l’Iliade» avait estimé un journaliste du New York Times.

   J’avais aimé «De si jolis chevaux», le premier volume de la «trilogie des confins»couronné en 1992 par le National Book Award mais c’est « Le grand passage » qui m’avait littéralement saisi par la scansion lancinante de ses phrases, leur rythme répétitif formidablement rendu par la traduction de François Hirsch. 

   L’action du livre, entre les deux guerres mondiales, nous entraîne dans le sillage du jeune Billy Parham, en route pour le Mexique pour ramener une louve sur sa terre natale. La langue envoûtante de McCarthy est à l’image du pas lent des chevaux avançant dans le désert, mélopée hypnotique. En lisant  « Le grand passage » nous ressentons la puissance tellurique, le rapport de l’homme à la nature. Et comme le dit  Wajdi Mouawad « la question du mal transperce la force vive de tous ses personnages. Un mal dont les sources échappent  à toute possibilité d’analyse. Un mal qui atteint des niveaux insupportablement poétiques tant  McCarthy le fait dériver vers le fabuleux, pour ne pas dire le féerique».

   Mais ce n’est qu’en 2007 que Cormac McCarthy sera enfin connu du grand public grâce à «La route » qui recevra le prestigieux prix Pulitzer, sera traduit dans 48 langues et se vendra à plus de 700 000 exemplaires en France. Ce livre est davantage une histoire d’amour entre un père et un fils, une profonde méditation métaphysique qu’un roman postapocalyptique. Comment l’auteur s’y prend-t-il pour faire entendre, au-delà des incessants dialogues entre le père et le fils, les pensées profondes des deux personnages et la voix de la mère disparue, c’est là tout le mystère de ce chef-d’œuvre dont les personnages nous hantent comme nous hantent les personnages de Beckett ou de Kafka.

   Et le diptyque formé par «Le passager» et «Stella Maris» – que les éditions de l’Olivier ont fait paraître en mars et mai de cette année, 15 ans après «La route» a lui aussi quelque chose de crépusculaire.

    Dans plus de 50 librairies de France et de Belgique ( dont Lucioles à Vienne, Comme un roman à Paris, l’Oiseau siffleur à Valence, La Galerne au Havre, Les Cordeliers à Romans…) faisant partie du groupement « Initiales » on vous offrira un remarquable dossier intitulé «Sur la route de McCarthy» avec, en particulier, un entretien avec Olivier Cohen et Nathalie Zberro qui a repris le flambeau des éditions de l’Olivier.

    Juste quelques mots d’ Olivier Cohen en guise de teasing !

 « Une unité profonde règne parmi ses livres où la violence, le mystère du mal et l’impossibilité d’une rédemption coexistent avec l’humour le plus noir et la plus inguérissable mélancolie.»

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