«  Le vote du projet de loi immigration à l’Assemblée nationale, mardi 19 décembre, indigne les associations de défense des migrants mais aussi les spécialistes de la protection de l’enfance. Tous dénoncent un texte abject, allant à l’encontre des droits humains ainsi que de la Convention internationale des droits de l’enfant. Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant, ancien enfant placé et ancien membre du Conseil national de la protection de l’enfance, s’alarme sur X d’une « aberration sociale et économique ».

    C’est par ces mots que débute l’article de Julia Vergely, journaliste à Télérama sur le site du journal. Et les mots de Lyes Louffok sont symptomatiques de l’onde de choc provoquée par cette loi que dénonce en une de La Croix ( pas vraiment un repaire de gauchistes!) dans son éditorial, la rédactrice en chef Isabelle de Gaulmyn qui n’hésite pas à écrire que cette loi est gentille avec les méchants et méchante avec les gentils, contrairement à ce que veut faire croire le ministre ( j’avais écrit d’abord sinistre!) de l’intérieur.

   Julia Vergely demande ensuite à Lyes Louffok son sentiment après le vote de cette loi: « Un sentiment de colère, de profonde angoisse et d’inquiétude, parce que, au regard de ce qui a été voté, on ne peut que s’attendre au pire sur le terrain. Un sentiment de trahison, aussi, parce que j’ai fait partie de ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle pour faire barrage à Marine Le Pen et à un élément de son programme qui m’effrayait plus que n’importe quel autre : la préférence nationale. J’ai très peur pour l’avenir. (…)  L’article 12 bis est pour moi une honte absolue, un recul dramatique car il instaure dans le marbre de la loi une sorte de préférence nationale en matière de protection de l’enfance. Il prévoit que les jeunes majeurs, anciens mineurs non accompagnés, autrement dit des jeunes majeurs de nationalité étrangère, n’aient plus le droit de profiter d’une protection par les services d’aide sociale à l’enfance (ASE) à leur majorité. Et ce alors même que la majorité présidentielle a voté en 2022 une loi obligeant l’ASE à apporter une protection à tous les enfants après leurs 18 ans. Cette protection est de droit pour les enfants français, mais avec ce qui vient d’être voté, elle ne l’est plus pour les enfants de nationalité étrangère, notamment ceux qui ont une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Un principe fondamental n’a pas été préservé : ce droit était acquis peu importe la situation administrative du jeune, ce n’est plus le cas. Cet article me dévaste. »

   Et le militant des droits de l’enfant affirme ensuite que « Supprimer l’hébergement d’urgence, ce n’est rien d’autre, que les condamner à une mort lente dans la rue. »

    L’intégralité de cet entretien digne et indigné est à retrouver ci-dessous.

    Mais je laisse ici, pour mon dernier envoi de l’année, le dernier mot à Jacques Prévert  dont  j’ai si souvent évoqué la colère devant l’injustice et le racisme. Ce poème écrit il y a un peu plus de 70 ans résonne hélas encore aujourd’hui et reste intacte sa puissance de dénonciation de l’injustice dont sont victimes ces migrants fuyant la guerre ou la misère pour le pays des droits de l’homme, de plus en terre d’écueil et de moins en moins Terre d’Accueil.

 Étranges étrangers

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel

hommes des pays lointains

cobayes des colonies

Doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d’Italie

Boumians de la porte de Saint-Ouen

Apatrides d’Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

Tunisiens de Grenelle

embauchés débauchés

manœuvres désœuvrés

Polacks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir de la vôtre 

la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d’une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boite à cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d’or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd’hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville 

vous êtes de sa vie 

même si mal en vivez 

même si vous mourez.

Pour les associations de défense des migrants la loi sur l’immigration : « Des conséquences dramatiques pour la vie des enfants »

Le vote du projet de loi immigration à l’Assemblée nationale, mardi 19 décembre, indigne les associations de défense des migrants mais aussi les spécialistes de la protection de l’enfance. Tous dénoncent un texte abject, allant à l’encontre des droits humains ainsi que de la Convention internationale des droits de l’enfant. Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant, ancien enfant placé et ancien membre du Conseil national de la protection de l’enfance, s’alarme d’une « aberration sociale et économique ».

Quel est votre sentiment, après le vote de la loi immigration ?
Un sentiment de colère, de profonde angoisse et d’inquiétude, parce que, au regard de ce qui a été voté, on ne peut que s’attendre au pire sur le terrain. Un sentiment de trahison, aussi, parce que j’ai fait partie de ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle pour faire barrage à Marine Le Pen et à un élément de son programme qui m’effrayait plus que n’importe quel autre : la préférence nationale. J’ai très peur pour l’avenir.

Vous dénoncez des mesures délétères pour les enfants, notamment un article qui cible spécifiquement les enfants placés.
L’article 12 bis est pour moi une honte absolue, un recul dramatique car il instaure dans le marbre de la loi une sorte de préférence nationale en matière de protection de l’enfance. Il prévoit que les jeunes majeurs, anciens mineurs non accompagnés, autrement dit des jeunes majeurs de nationalité étrangère, n’aient plus le droit de profiter d’une protection par les services d’aide sociale à l’enfance (ASE) à leur majorité. Et ce alors même que la majorité présidentielle a voté en 2022 une loi obligeant l’ASE à apporter une protection à tous les enfants après leurs 18 ans. Cette protection est de droit pour les enfants français, mais avec ce qui vient d’être voté, elle ne l’est plus pour les enfants de nationalité étrangère, notamment ceux qui ont une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Un principe fondamental n’a pas été préservé : ce droit était acquis peu importe la situation administrative du jeune, ce n’est plus le cas. Cet article me dévaste.

Supprimer l’hébergement d’urgence, ce n’est rien d’autre que les condamner à une mort lente dans la rue.

Pourquoi ?
Parce qu’il est à mettre en parallèle avec l’article 19 ter de cette loi immigration, qui touche à l’inconditionnalité du droit d’hébergement : il vient considérablement limiter, voire interdire, l’hébergement d’urgence pour les personnes sans papiers ou sous OQTF. Donc non seulement on dit aux gamins de l’ASE qu’ils n’ont plus le droit d’être protégés après leur majorité, mais qu’en plus ils n’auront plus droit à l’hébergement d’urgence. En clair, on leur dit « crevez dehors, nous ne voulons pas de vous ». C’est ce qu’il y a de plus inhumain dans ce texte, parce qu’on touche non seulement à un droit fondamental, mais à un droit vital. Ces jeunes, qui ont eu des parcours en protection de l’enfance, qui ont côtoyé des enfants français, qui ont vécu avec eux dans les mêmes familles d’accueil, les mêmes foyers, on les prive d’un droit à la survie, à la vie. Supprimer l’hébergement d’urgence, ce n’est rien d’autre que les condamner à une mort lente dans la rue. Je n’ai pas de mots pour qualifier cela.

Vous dites aussi que l’article 7 ter entrave considérablement l’accès à un titre de séjour « vie privée et familiale » pour les jeunes de l’ASE. Comment ?
Aujourd’hui, un enfant pris en charge par l’ASE avant ses 16 ans a droit à ce titre de séjour à sa majorité. Le gouvernement a décidé d’ajouter une condition qui n’existait pas : pour avoir ce titre de séjour, le jeune devra prouver l’absence de lien avéré avec sa famille d’origine à l’étranger. Cette disposition est totalement contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant, qui garantit un droit à une vie familiale. C’est d’une débilité absolue, parce que ces gamins ne vont pas être expulsés ! Les OQTF ne seront pas exécutées, tout le monde le sait, c’est un principe de réalité. Ces jeunes vont se retrouver à la rue et risquent de commettre des actes de délinquance, exactement ce que le gouvernement dit chercher à éviter. Par état de nécessité, peut-être devront-ils voler, dormir dans des squats ou des parkings, tomber dans la prostitution, comme c’est déjà le cas pour les mineurs non accompagnés… On va amplifier un phénomène que l’on prétendait chercher à régler au travers de cette loi. C’est absurde.

On peut s’attendre à une explosion de la pauvreté dans notre pays, et probablement une explosion de sans-abrisme. 

D’autres mesures de droit général, qui ne concernent pas directement les enfants, vont aussi intensifier énormément le mal-logement chez les jeunes, alors que les enfants placés sont déjà surreprésentés dans la population des personnes sans domicile fixe. C’est lamentable. Par exemple la fin de la possibilité de renouveler plus de trois fois sa carte de séjour temporaire : elle va entraver le parcours scolaire et professionnel des enfants de l’ASE. Si à 18 ans, ils obtiennent un titre de séjour étudiant, ils ne pourront pas aller au-delà de la licence. Pour avoir un titre de séjour « Vie privée et familiale », il faut cinq ans. De facto, ils seront expulsables. On crée une absurdité sociale totale et un non-sens économique ! On investit dans leur protection quand ils sont mineurs, pour ensuite les condamner soit à la rue, soit à l’expulsion à leurs 21 ans. Il n’y a pas de logique.

Un article crée également un fichier biométrique (empreintes digitales et photos) des mineurs non accompagnés (MNA). Pourquoi cela vous préoccupe-t-il ?
Ce fichier concerne les MNA délinquants – ou supposément délinquants. Cette mesure est complètement discriminatoire, elle ne vise que les jeunes migrants. Les ados qui foutent le bordel mais qui sont de nationalité française ne seront pas dans ce fichier. Ensuite, un tel dispositif est contraire au principe de présomption d’innocence. C’est gravissime. Et si demain Marine Le Pen accède au pouvoir, ce fichier pourrait être une menace extrêmement dangereuse.

Le bénéfice des APL et celui des prestations familiales seront désormais soumis à des conditions pour les personnes issues de l’immigration. Une mesure largement critiquée par les associations. Qu’en pensez-vous ?
On va précariser les parents – essentiellement des mères – mais, surtout, on va appauvrir leurs enfants. Cette mesure va avoir des conséquences dramatiques pour la vie des enfants dont les parents sont de nationalité étrangère : on peut s’attendre à une explosion de la pauvreté dans notre pays, et probablement une explosion de sans-abrisme. Je suis catastrophé. On ne pouvait pas s’attendre à quelque chose d’aussi grave. Je n’imaginais pas cela possible dans un gouvernement qui n’est pas officiellement d’extrême droite. Il fait la démonstration qu’en réalité il l’est.

JULIA VERGELY 

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