Cette semaine, encore une fois, mon kaléidoscope fait un retour en arrière, d’un millier de jours, pour rediffuser (légèrement augmenté) mon 60e kaléidoscope:

   Entre sérénade et sérénissime, la plupart des dictionnaires ignorent l’existence de la sérendipité. C’est la raison pour laquelle, dans ma grande bonté, je m’en vais éclairer votre lanterne.

   Tout commence par un conte oriental “Voyages et aventures des trois princes de Sérendip”, traduit du persan par le chevalier de Mailly il y a tout juste trois siècles : le roi Sérendip,( ancien nom de l’île de Ceylan) envoie ses trois fils explorer le monde, en vertu du vieil adage qui affirme que les voyages forment la jeunesse. Ils rencontrent un chamelier qui leur demande si , par le plus grand ou le plus petit des hasards, ils n’ont pas aperçu un de ses chameaux égarés :” N’est-il pas borgne et boiteux ? Ne lui manque-t-il pas une dent ? Ne transporte-t-il pas d’un côté du miel et de l’autre du beurre ? ” Le chamelier n’en revient pas. En réalité les trois princes n’ont pas vu l’animal mais interprété certains indices et en ont déduit que le chameau était le chameau perdu: l’herbe était rongée d’un seul côté du sentier, des bouchées à demi mâchées -de la largeur d’une dent- jonchaient le sol, des fourmis – friandes de gras- s’étaient agglutinées sur le bord droit du chemin, alors que, sur le côté gauche, voletaient des mouches qui, comme chacun sait, aiment le miel…

   À vrai dire, on trouve des variantes de ce conte aussi bien chez les Hébreux que chez les Arabes, les Turcs, les Bosniaques… Et même chez les Scandinaves.
   Le personnage de Zadig (créé par Voltaire en 1757) décrit une chienne et un cheval en déchiffrant des traces sur le sol, ce qui le fait accuser de vol.  

   Mais c’est en 1754 que, pour la première fois, l’écrivain anglais Horace Walpole (l’inventeur du roman gothique) utilise le terme serendipity qui désigne la faculté de découvrir, par hasard et sagacité, des choses qu’on ne cherchait pas.

D’autres termes ont été proposés comme fortuité, fortuitude et même le mot-valise zadigacité, sans connaître le succès du mot sérendipité dont le sens s’est élargi de : “art de prêter attention à ce qui surprend et d’en imaginer une interprétation pertinente”  au “rôle du hasard dans les découvertes”. Dans ce dernier sens, les exemples de sérendipité abondent : le nylon, la pénicilline, le LSD, la tarte tatin, le canon à neige, le velcro (l’apocope de velours et crochet -voir mon 53ème kaléidoscope)  inventé grâce à des boules de bardane qui s’étaient accrochées dans le pelage d’un chien, le post-it, le carambar…sans oublier la découverte du continent américain.

 Le citrate de sildénafil, qui a fait en 1998 la fortune des laboratoires Pfizer, avait été développé au départ pour traiter les angines de poitrine. Des mineurs gallois au chômage se présentent à la clinique du laboratoire pour tester ce médicament, séduits par les 300 livres (plus de 2300 €) proposées en échange. Les résultats sont décevants mais un des cobayes signale timidement qu’il a davantage d’érections nocturnes que d’habitude: le viagra était né!

   Ceux qui voudront aller plus loin liront avec profit le livre de Sylvie Catellin: « Sérendipité. Du conte au concept. » Ils comprendront que la définition de la sérendipité proposée par le médecin Julius Comroe : “Chercher une aiguille dans une botte de foin, et y trouver la fille du fermier” est peut-être un peu simpliste ! 

   La semaine prochaine j’évoquerai probablement les oiseaux, si beaux et si fragiles, dont j’ai souvent parlé ici au cours de ces cinq années de Kaléidoscopes  !

   Telerama leur consacre cette quinzaine un numéro spécial intitulé «Ce que nous disent les oiseaux» avec un énigmatique chardonneret en couverture.

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