Cela fait maintenant 20 ans que Francis Geffard publie l’œuvre de Louise Erdrich dans sa magnifique collection “Terres d’Amérique” chez Albin-Michel. Son 17e roman, “Celui qui veille”, qui vient de paraître, est un grand livre dans lequel on retrouve les thèmes universels de ses précédents ouvrages. 

 Louise Erdrich, née d’une mère indienne Chippewa et d’un père allemand, est l’une des premières indiennes à être acceptée au Dartmouth College où elle étudie la littérature. En 1984, “Love Medicine”, son premier roman est salué par Toni Morrison. “Dans le silence du vent” est élu en 2012 meilleur livre de l’année par les libraires américains. 

 En 2006, nous lui décernions notre “Prix Lucioles” pour “La chorale des maîtres bouchers”: en 1918, de retour du front, Fidelis, un jeune soldat allemand, part à la conquête de l’Amérique. Avec pour unique bagage sa valise de couteaux de boucherie, il s’installe dans le Dakota du Nord. Fidelis travaille dur et chante le soir dans une chorale… C’est le début d’un roman puissant et poétique, aux frontières du réel et de l’imaginaire, un autre versant du rêve américain.


   “Celui qui veille” (traduit de l’anglais par Sarah Durcel) a été couronné par le Prix Pulitzer, la plus haute distinction littéraire des USA. 

 Le roman est inspiré par la figure du grand-père de l’écrivaine et lui est dédié. Il se déroule dans le Dakota du Nord, précisément dans la réserve indienne des Turtle Mountain, comme de nombreux livres de Louise Erdrich , en 1953, l’année qui précède la naissance de Louise.  

 Thomas Wazhashk ( dans la langue Chippewa, c’est le nom du rat musqué, l’animal qui recrée la Terre après le Grand Déluge), président du conseil tribal, est veilleur de nuit dans une usine de pierres d’horlogerie. Il comprend immédiatement que la loi présentée par le gouvernement fédéral, censée émanciper sa tribu, va en fait menacer son existence. Il est déterminé dans sa lutte pour la survie de sa communauté et conduira une délégation jusqu’à Washington pour mettre en échec cette “termination”. 

 Dans cette même usine où travaillent beaucoup de femmes, la jeune Pixie, 19 ans ( qui ne répond que si on l’appelle Patrice) est aussi une forte personnalité. Il faut dire qu’elle a de qui tenir! Sa mère Zhaanat est “une femme forte et droite, aux traits saillants. Traditionnelle. Une indienne à l’ancienne.” Sa priorité du moment est de retrouver à Minneapolis, la grande ville menaçante, sa sœur Vera dont la disparition est inquiétante.

   Le roman progresse, au fil de courts chapitres, où l’on suit tour à tour les quêtes de Thomas et Patrice. Mais le lecteur croise dans “Celui qui veille” de nombreux personnages qu’il n’oubliera pas comme Barnes, l’entraîneur de boxe de Wood Mountain, tous deux amoureux de Patrice.
   On n’oubliera pas non plus le moment où Patrice tombe dans la tanière d’un ours recouverte de neige. Elle sent sa présence mais, loin d’avoir peur de l’énorme bête “Patrice se pelotonna et ferma les yeux. C’était l’heure de la sieste. Et puis ce n’était pas si souvent qu’une femme moderne et  salariée avait l’occasion de dormir avec un ours vivant.” On a ici tout l’art de Louise Erdrich de nous faire accepter “naturellement” une  situation plutôt surnaturelle. Peu d’écrivains sont capables de ce mélange des genres: la tragédie côtoyant la comédie, le rêve et la réalité mêlés, la vie et la mort intimement liées dans cet émouvant chapitre intitulé “du berceau au tombeau” dans lequel un personnage déclare:  “Je crois qu’on ferait mieux de ne pas dire à Zhaanat qu’on a construit la maison funéraire et le porte-bébé en même temps.”  


   Dans un entretien donné au journal Libération, Louise Erdrich explique la genèse de ce livre dont Francis Geffard, son éditeur, déclare qu’il vient rappeler à l’Amérique les blessures de son passé et la valeur de ses promesses: “J’ai attendu 20 ans au moins, pour écrire ce livre. Ma mère m’a donné les lettres de mon grand-père il y a longtemps, et je les ai lues et relues. J’ai souvent voulu écrire une histoire sur son rôle dans la lutte contre la “termination” de notre tribu,  la Bande des Indiens Chippewa de Turtle Mountain. Mais je ne parvenais pas à écrire plus de quelques pages. (…) Enfin, il y a cinq ans, quelque chose s’est débloqué en moi et j’ai commencé “Celui qui veille”.


   Je vous invite à découvrir la langue incandescente et poétique de cette grande conteuse dont les accents se rapprochent du réalisme magique cher à Garcia Marquez et aux romanciers latino-américains.

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