La mort de Pepe Mujica n’a pas vraiment saturé les ondes radiophoniques ou télévisuelles, et c’est tout à l’honneur de la presse écrite de prendre le temps de retracer le parcours d’un homme politique qui devrait servir de modèle à ceux qui envisagent de nous gouverner, et surtout de nous représenter.
Ce kaléidoscope s’inspire donc largement de la page entière que lui consacre cette semaine « le Monde » et des deux pages de « Libération ».
Né en 1935 dans une famille de paysans uruguayens, il a huit ans à la mort de son père. Il cultive avec sa mère, sur leur modeste parcelle, des fleurs qu’ils vendent au marché de la capitale Montevideo. Il parvient cependant à poursuivre des études et à militer pour davantage de justice sociale.
Au début du XXe siècle, l’Uruguay fait pourtant figure de modèle démocratique: la peine de mort y est abolie en 1907, le divorce légalisé en 1913, les femmes votent dès 1927… son modèle social fera dire au sociologue Alain Touraine que ce pays a inventé la social-démocratie bien avant l’Allemagne. Mais à partir des années 50, les inégalités s’accroissent et la corruption s’installe.
Pepe Mujica participe en 1964 à la fondation des Tupamaros, qui prônent la guérilla et la lutte armée, s’en prenant aux multinationales comme Coca-Cola ou Bayer. En 1970, le mouvement enlève un agent du FBI qui « formait », à la torture (comme Barbie) des opposants, les régimes dictatoriaux d’Amérique latine. Le gouvernement uruguayen refusant de relâcher 150 prisonniers Tupamaros, le tortionnaire est exécuté. Costa-Gavras fera deux ans plus tard de cette histoire le sujet de son film «État de siège »où Yves Montand jouera le rôle de l’agent du FBI.
Même s’il n’a pas participé à l’enlèvement, Pepe Mujica sera arrêté et emprisonné de 1972 à 1985 – comme Carlos Liscano qui relate son incarcération dans Le fourgon des fous, un livre bouleversant qu’il était venu présenter à Lucioles il y a près de vingt ans- la plupart du temps à l’isolement. Il connaîtra, comme Liscano, la torture, les privations, les menaces d’exécution… et il dira plus tard que la pire des punitions aura été la privation de livres pendant sept ans.
À sa libération il crée le Mouvement de participation populaire ( MPP) qui s’intègre à l’union de la gauche et entre en 2004 au gouvernement comme ministre de l’Agriculture. En novembre 2009 il est élu président de la république et prend ses fonctions en mars 2010. Avec sa femme et camarade de combat, la sénatrice Lucia Topolansky, il refuse d’habiter le palais présidentiel et préfère vivre dans sa petite ferme à la campagne proche de Montevideo avec une maison de moins de 50 m2 où il se rend au volant de sa coccinelle Volkswagen! Il refuse tout personnel de maison et renonce à 87 % de son salaire, ne gardant que ce qu’il estime nécessaire. En 2012, il dépénalise l’avortement, l’année suivante il instaure le mariage pour tous et dépénalise la culture pour sa consommation personnelle et la vente de cannabis qui sera vendu en pharmacie en 2017. Mais on oublie souvent de dire que l’Uruguay, en investissant massivement dans les énergies renouvelables arrive aujourd’hui à produire 98% d’électricité décarbonée. Et surtout pendant ses cinq années de mandat, le salaire minimum augmente de 250%, la pauvreté est divisée par deux et la pauvreté extrême réduite à 1% de la population.
Sa popularité dépasse largement son petit pays ( 3 millions 500 000 habitants) qu’il contribue à faire connaître dans le monde entier. Ses nombreux entretiens cumulent des dizaines de millions de vues et en 2018 il est même l’invité d’honneur du festival de Venise où sont projetés deux films sur lui: «El Pepe, une vie suprême », documentaire d’Emir Kusturica et « Compañeros », un film de fiction retraçant ses douze ans de prison.
Jusqu’à la fin de sa vie, il a accueilli dans sa maisonnette journalistes et admirateurs, faisant l’apologie de la frugalité: « La frénésie de consommation nous vole notre liberté, elle envahit la place que devrait occuper l’affectivité. Il faut garder du temps de vie pour les relations humaines, l’amour, l’amitié, l’aventure, la solidarité, la famille… Il ne faut pas perdre sa vie à accumuler. C’est le besoin d’accumuler qui déforme l’intelligence des gens intelligents.(…) Je ne suis pas pauvre, je ne me soumets pas à l’obligation de gaspiller mon temps à gagner de l’argent. Je garde la liberté d’être avec les autres. »
Pepe Mujica, qui est mort le 13 mai, une semaine avant ses 90 ans, a demandé que ses cendres soient dispersées sous un séquoia de sa ferme, là où repose sa chienne à trois pattes morte à 22 ans.
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