Nous n’en sommes qu’à quelques jours de confinement et je mesure, chaque jour, la chance de pouvoir jardiner, regarder le ciel bleu et les arbres – les cerisiers seront bientôt en fleurs et le printemps arrive à toute allure, un peu trop vite même…
Je pense à ceux qui sont confinés dans de petits appartements, à ceux qui sont depuis deux semaines assignés à résidence dans les maisons de retraite. Et je pense surtout aux prisonniers dont les parloirs viennent d’être supprimés.
On a coutume de dire que la lecture nous permet de nous évader. Pour les prisonniers, la métaphore prend toute sa puissance. Comme le dit Corinne Morel Darleux– dont il est salutaire de lire le dernier livre Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Réflexions sur l’effondrement – dans la dernière livraison de son blog Revoir les lucioles, intitulé La lecture comme évasion : ” la lecture peut devenir un moyen, éphémère mais à portée de main, de lutter contre l’enfermement et l’isolement, dehors comme dedans. Le livre est un droit à l’évasion légale…”
Corinne Morel Darleux évoque une initiative lancée en Espagne et qui existe depuis peu en France, pour ne pas oublier que , dans ces prisons pensées par des hommes, il y a aussi des femmes, des prisonnières. Aux oubliées ( auxoubliees.org ) a pour but de distribuer des livres, personnalisés par un mot, une lettre, une inscription de cadeau à des femmes en prison. ” Les livres sont comme un baume pour l’âme. Quand ils ne divertissent pas, ils permettent d’apprendre, de s’ouvrir, d’oublier ou encore ont le pouvoir d’aider à décider du nouveau cours d’une vie… Nous ne savons jamais où un livre va nous transporter. Nous croyons seulement en son pouvoir.”
René Frégni anime en prison depuis vingt-cinq ans des ateliers d’écriture. Il veut ” faire entrer dans les cellules les bruits du monde, l’odeur des forêts, la lumière de la mer et la beauté des femmes “. Il faut dire qu’il parle en connaissance de cause puisque, prisonnier dans les années 80, il va rencontrer en prison un objecteur de conscience, professeur de philosophie qui lui “ouvrira la porte des mots”. J’avais été impressionné par la force, et même la rage de son premier livre Les chemins noirs ,l’histoire d’une cavale. La prison est aussi évoquée dans Et tu tomberas la nuit. René Frégni présente ainsi son dernier livre Carnets de prison ou l’oubli des mères :” les mots sont parfois sauvages et terrifiés, parfois doux et affectueux. J’ai essayé de parler de mon travail, si modeste, dans les prisons, du rôle des livres, des mots et de l’amour tout au long de ma vie, de mon impuissance face à ces montagnes de misère et d’injustice qui s’accumulent et annoncent des jours sans doute barbares.”
Avec un livre, nous ne sommes jamais seuls et faire découvrir à un enfant le plaisir de la lecture et le pouvoir des mots est le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire.
Saluons l’initiative de Laure Leroy des éditions Zulma qui propose sur son site de “partager quelque chose de beau”, des nouvelles : dans la première nouvelle mise en ligne – Les murs de Vaikom Muhammad Basheer – le narrateur est en prison… Zulma propose également des ateliers d’écriture en ligne pour les enfants et les grands enfants que nous sommes restés.

” Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix”
Écrit Victor Hugo après la visite d’un bagne en 1853.

Je fais le rêve que ce confinement ( qui n’a rien d’un emprisonnement) nous permette de changer notre regard d’être humain sur d’autres êtres humains, nos frères et nos sœurs emprisonnés.

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