Le cinéma iranien soumis à la censure d’une impitoyable théocratie est, par la force des contraintes, l’un des plus inventif de la planète.

On se souvient de « Taxi Téhéran » de Jafar Panahi avec ses trois caméras placées dans un taxi, cadre quasi unique du film, où le siège passager ou la banquette arrière, accueille les conversations d’habitants de Téhéran.

 Avec Chroniques de Téhéran, nouveau pied de nez à la censure des mollahs, les  cinéastes Alireza Khatami et Ali Asgari déjouent la censure d’une autre manière. Les courts métrages n’étant pas soumis à une autorisation préalable, les réalisateurs ont fait croire à leurs acteurs, pour les protéger, qu’ils tournaient un court métrage autonome. Le film est en effet composé de neuf histoires différentes, neuf plans fixes d’à peu près huit minutes où des hommes et des femmes sont confrontés, face caméra à des interlocuteurs que le spectateur ne voit jamais: ce sont les représentants de l’autorité: police, administration, chefs du personnel, directrice d’école… chargés de faire respecter l’arbitraire.

   Un homme déclare la naissance de son fils, mais le prénom qu’il a choisi, David n’est pas assez musulman! On va le voir essayer de convaincre un interlocuteur, employé zélé de l’administration, qui lui propose des noms corrects. 

   La jeune femme qui vient pour un entretien d’embauche comprend vite, qu’au pays  des mollahs puritains, son interlocuteur attend d’elle autre chose qu’un travail bien fait. 

   Une toute jeune fille danse sur une musique qu’on imagine pop, écouteurs sur les oreilles, dans une boutique de vêtements, et sa mère n’a pas d’autres choix, sous les pressions de la vendeuse, de lui faire essayer un voile intégral en prévision de la rentrée scolaire.

   L’humour se mêle souvent, dans ces sketches, à l’esprit de résistance d’êtres humains qui refusent d’être broyés par un régime hypocrite où la bureaucratie tatillonne et l’arbitraire cachent la volonté de pouvoir de ceux qui ne sont finalement que des rouages d’un système oppressif.

   Ne manquez pas la première séquence du film: un long plan fixe sur Téhéran où le jour se lève: les bruits de la ville en sourdine, klaxons, cris d’oiseaux, sirènes… la brume qui se dissipe lentement … puis un écran noir. Et attendez-vous à être secoués par la séquence finale!

   Dépêchez-vous de voir ce film qui vient de sortir en France, et qui est encore disponible dans de nombreuses salles ( à Vienne jusqu’à mardi prochain.). Une manière de rappeler aux Iraniens qu’ils ne sont pas seuls et qu’on n’oublie pas leur combat pour la liberté ( voir K257: Femme Vie Liberté. Le combat des Iraniennes)

   Comme le dit mon ami Jean-Yves Loude: « devant l’impuissance que nous pouvons ressentir face à ces régimes d’oppression de l’Humain, il nous reste la liberté de plébisciter des œuvres de cette envergure. »

    La force du film tient au fait que le spectateur est dans la position du censeur de la vie de tous les jours des Iraniens et on imagine que la séquence où un réalisateur se voit contraint de détruire, page après page, son scénario, n’est pas imaginaire.

   Mais laissons le dernier mot aux réalisateurs de ce film qu’on n’oublie pas: « Nous savions que le temps de raconter une histoire autour du feu était révolue. Il était maintenant temps de raconter une histoire venant directement du feu. Nous avons donc dépouillé le cinéma de tout ce qu’il faisait obstacle aux flammes. »

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