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KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

Kaléidoscope 85: Hubert Mingarelli.

J’ai rencontré Hubert Mingarelli pour la première fois en 1996 au moment de la mise en espace d’un de ses livres au théâtre de Vienne. La lumière volée ( réédité en folio junior) raconte l’amitié de deux adolescents réfugiés pendant la guerre dans le cimetière du ghetto de Varsovie. Ils rêvent, l’espoir est fragile. Par petites touches délicates, Hubert Mingarelli va à l’essentiel, l’épreuve de la vie et de la mort. Tout son univers est en place. Déjà la neige et le froid, déjà la guerre, déjà cette économie de moyens, déjà des êtres humains en prise avec la solitude et leur maladresse à communiquer. ” Dans mes romans, je n’ai pas envie qu’on apprenne des choses en dehors de l’espèce humaine. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens. (…) Je crois que j’écris des histoires sur la consolation. Mes personnages ont besoin d’être consolés.”
Et pourtant, son œuvre aurait pu passer inaperçue, ses cinq premiers livres publiés dans des collections pour la jeunesse. C’est presque par hasard qu’ Une rivière verte et silencieuse paraît aux éditions du Seuil en 1999, salué par la presse comme un premier roman !
Le succès viendra avec le prix Médicis attribué en 2003 à Quatre soldats. Le roman met en scène quatre soldats de l’armée rouge, en perdition dans le terrible hiver 1919.

Comme en écho, en 2012 , dans Un repas en hiver (Prix Lucioles) , ce sont trois soldats allemands qui, pour éviter de participer aux exécutions sommaires, débusquent dans la forêt enneigée un juif avec lequel ils vont partager un repas dans une maison abandonnée. Ce roman glaçant est d’une puissance inouïe: sur la condition humaine, sur la vie et la mort, sur la culpabilité et le sens de l’existence, on a rarement écrit des lignes aussi essentielles. On est pris d’un véritable vertige quand on lit les dernières pages de ce livre d’une absolue nécessité.
Hubert est souvent venu à la librairie Lucioles. En 2003 il avait accepté, à ma demande, d’écrire une nouvelle pour le groupement de libraires “Initiales”. Sur la mer avait ensuite été réédité dans le beau recueil de nouvelles Océan pacifique)
Il avait fêté avec nous les 30 ans de la librairie et pour les 40 ans en 2016 il avait participé avec enthousiasme au recueil “La danse vivante des lucioles”: Que faisait Kerouac sur un bateau de l’armée? (que vous trouverez en fin de kaléidoscope) témoigne de l’importance de sa lecture de Jack London… et je me souviens que c’est à Hubert que je dois la découverte de son recueil de nouvelles L’amour de la vie.

Pour continuer de cheminer avec Hubert Mingarelli, dont la disparition fin janvier nous a remplis de tristesse, la Fête du Livre de Bron nous convie à une rencontre ce samedi 15 février à 18h30 autour de l'écrivain et ami, qui y avait été reçu tout au long de son parcours.

Antoine Choplin, écrivain

Alain Choquart, réalisateur

Brigitte Giraud, écrivain, Conseillère littéraire de la Fête du Livre de Bron

Thierry Guichard, journaliste littéraire, directeur de la publication du Matricule des Anges

Yann Nicol, directeur de la Fête du Livre de Bron

Bertrand Visage, écrivain et éditeur au Seuil (sous réserve)

évoqueront son œuvre, l’une des plus singulière et exigeante que la littérature française contemporaine ait portée, mettant en scène le plus souvent les hommes entre eux, leurs silences et leur fragilité, des histoires de soldats, de pères et de fils, dans l’intimité de la guerre ou face à la rudesse et la beauté de la nature.

           QUE FAISAIT KEROUAC SUR UN BATEAU DE L'ARMÉE ?

J’étais quartier-maître de deuxième classe à bord d’un escorteur rapide et j’avais dix-neuf ans. On s’entraînait à détecter et couler les sous-marin. A peine sortis du port nous étions appelés au poste de combat. Il fallait courir dans les coursives et descendre les échelles en fer à toute vitesse. J’étais sous le pont et transmettais à la passerelle par radio les avaries causées par les torpilles ennemies. Ensuite on sonnait la fin de l’exercice et je rejoignais mon poste de navigation sur la passerelle. On aurait dit une vie pleine d’aventure. Mais pas pour moi. J’avais le mal de mer et je m’ennuyais tout le temps. Ça ne m’intéressait pas. Les officiers ne m’aimaient pas parce qu’ils voyaient que ça ne m’intéressait pas. J’étais malheureux quand nous partions en mer et très heureux quand nous revenions nous mettre à quai. Je dormais dans le poste avant, et au-dessus il y avait un canon qui tirait des obus sur les avions qui faisaient semblant de nous attaquer. Nous partions des semaines.
En ville il y avait des bars avec des filles qui nous attendaient. Il fallait boire et dépenser beaucoup d’argent pour coucher avec elles. Dehors dans les rues il y avait d’autres filles et avec elles c’était moins cher. Dans l’une des rues il y avait aussi une librairie. Quand on a dix-neuf ans et qu’on vient d’où on vient, ça fait presque aussi peur de monter avec une fille que d’entrer dans une librairie. En attendant de trouver du courage je passais devant et je regardais la vitrine.
J’avais commencé à lire l’année d’avant à bord de mon premier embarquement. C’était dans le Pacifique. J’avais trouvé « Sur la route » de Kerouac. Que faisait Kerouac sur un bateau de l’armée ? Je n’avais presque rien compris à ce que je lisais. Je ne l’avais pas fini. C’était trop nouveau pour moi. Mais quelque chose me disait que ça valait peut-être la peine de continuer à lire, que ça me ferait oublier que je n’aimais ni l’armée ni les officiers qui ne m’aimaient pas, ni le reste de l’équipage qui ne m’aimait pas non plus et croyez-moi personne à bord n’aimait personne et tout le monde faisait semblant de quelque chose.
Ainsi donc dans l’une des rues où les filles attendaient que nous montions avec elles il y avait aussi cette librairie. J’ai mis du temps avant d’y entrer. J’ai dû attendre qu’il y ait déjà des gens à l’intérieur avant de passer la porte et j’ai dû faire en y entrant comme si j’avais l’habitude. Il y avait beaucoup de livres et je suis ressorti avec « Martin Eden » de Jack London. Je l’ai lu jusqu’au bout. C’était moins compliqué que Kerouac.
Et si un jour et bien longtemps après je me suis mis à écrire c’est parce que dans cette rue il y avait des filles et une librairie et que j’ai acheté « Martin Eden » et voulu faire comme lui, vous savez ce type qui essaye de sortir de sa pauvre condition en écrivant des nouvelles. Pour les filles c’est une autre histoire.


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