Accueil

KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

Kaléidoscope 319: Punir plutôt que réparer, la dérive carcérale.

  Les princes qui nous gouvernent ou qui aspirent à nous gouverner font davantage preuve de démagogie que de courage pour parler de l’univers carcéral.

Entre ceux qui ne cessent de réclamer la construction de nouvelles prisons ou de renforcer l’arsenal répressif la palme reviendra cependant à ceux qui proposent d’envoyer les détenus à Saint Pierre et Miquelon ou en Guyane. En attendant de rétablir le bagne ou de les envoyer sur la planète Mars dès que possible ?

L’observatoire international des prisons ( OIP)se bat depuis 30 ans pour la défense des droits et la dignité des personnes détenues.
   J’emprunte le titre de ce kaléidoscope à l’excellent dossier réalisé par l’hebdomadaire Politis. Maxime Sirvins y rappelle qu’aujourd’hui « la densité carcérale atteint un niveau historique. En avril 2025, la France franchissait la barre des 82 000 détenus pour environ 62 000 places théoriques. Plus d’un quart des détenus sont en détention provisoire, d’après les données du ministère de la justice. Le taux d’occupation moyen atteint 133 % et certaines maisons d’arrêt enregistrent des pics supérieurs à 200 %. Rien qu’en un an, le nombre de détenus a augmenté de plus de 7%. Les conditions de détention sont évidemment de plus en plus indignes. On devrait obliger le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice à passer, ne serait-ce qu’une semaine, dans une cellule de moins de 9 m2 avec deux autres co-détenus : c’est le lot quotidien de milliers de prisonniers, dont certains n’ont pas encore été jugés. Ils verraient rapidement que la prison ce n’est pas le Club Med!

   Histoire de caresser l’opinion dans le sens du poil, le sinistre -pardon !- le ministre de la justice a proposé de faire payer les détenus pour leur détention: « Qu’est-ce qu’on va faire payer ? Les rats qui courent dans les coursives ? Dans les cellules ? Les matelas qui sont au sol ? » s’est interrogé le prédécesseur de Gérald Darmanin, Éric Dupond-Moretti. En revanche le député RN Tanguy a applaudi à cette idée proposée depuis des années par l’extrême-droite… qui s’insurge contre la condamnation de Marine Le Pen pour des détournements de fonds plus condamnables que les délits reprochés à de nombreux petits délinquants incarcérés.
    Le ministre de la justice a fait également suspendre dans plusieurs établissements des activités dites ludiques comme des ateliers d’écriture. Ayant accompagné, depuis plusieurs mois, des groupes de détenus dans des ateliers de lecture et d’écriture ( voir K299: Goncourt des détenus,un souffle de liberté) je peux témoigner de l’importance que revêtent à leurs yeux ces espaces de réflexion, d’échanges sans jugement, d’écoute et de dialogues respectueux. De liberté de parole, tout simplement. Et les surveillants ont, pour la plupart, bien compris le rôle positif de ces échanges hebdomadaires. Plusieurs organisations ont saisi le Conseil d’État, estimant que ces  activités participaient à la préparation, à la réinsertion et à l’équilibre psychologique des détenus. Le directeur de l’OIP, Jean-Claude Mas, le dit très bien: « C’est incompréhensible de supprimer de telles activités et de durcir des conditions de détention qui vont, in fine, contribuer potentiellement à la récidive. On marche un peu sur la tête puisque, dans l’état actuel des choses, 50 % des personnes récidivent cinq ans après. Cette démagogie passe à côté des enjeux de la réinsertion. »

Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté pose la question essentielle du rôle et du sens de la prison: « Qu’en attendons-nous , collectivement ? Qu’elles punissent , et qu’elles mettent à l’écart un temps, bien sûr, mais ensuite ? S’il s’agit d’une vengeance de la société, c’est très réussi, car la peine s’apparente pour l’heure, à un châtiment corporel et l’enfermement en maison d’arrêt se résume à un temps mort et violent ; si, en revanche, il s’agit de rendre les détenus meilleurs en les préparant à sortir, comme le veut la loi, l’échec est patent, cruel. » Un détenu lui a écrit un jour: « On vous coûte 120 € par jour par détenu, c’est un peu cher pour fabriquer de la récidive. » Par ailleurs, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté pose la question majeure de la santé mentale des détenus: « On évalue à 35 % le nombre d’individus malades en prison. Il faut qu’ils soient placés en psychiatrie. Mais comme elle est elle-même ravagée, il n’y a pas de place pour eux. Peut-on imaginer avoir des fragilités psychiques et survivre à trois dans une cellule, avec un matelas par terre et des cafards partout ? C’est horrible, honteux. »

     Dominique Simonnot ne détient pas la solution miracle mais propose de « retirer un mois de détention à chaque détenu et de les faire sortir de manière encadrée par les services pénitentiaires d’insertion. En Allemagne, quand la prison arrive à 90 % d’occupation, plus personne n’entre tant que quelqu’un n’est pas sorti. Pourquoi ne pourrait-on pas y arriver nous aussi? » On pourrait aussi développer les alternatives à la prison que sont les TIG ( travaux d’intérêt général) ou le bracelet électronique qui évitent la rupture des liens sociaux et familiaux.

  La France est le troisième pays d’Europe pour le taux d’incarcération derrière Chypre et la Roumanie avec 106 détenus pour 100 000 habitants. Il y en a 69 en Allemagne où 80 % des peines prononcées sont des amendes ( avec un taux de récidive très inférieur au nôtre) et 55 en Norvège. Aux Pays-Bas le taux d’incarcération ne cesse de baisser depuis 20 ans.
    Et si la France qui est régulièrement condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour ses conditions indignes et inhumaines d’emprisonnement prenait modèle sur ses voisins ?


Commentaires

Une réponse à “Kaléidoscope 319: Punir plutôt que réparer, la dérive carcérale.”

  1. Avatar de Christian D.
    Christian D.

    Il y a énormément de choses scandaleuses dans le fonctionnement de la Justice et du système carcéral.
    Outre que rien n’est fait pour la réinsertion des détenus, ce qui m’horrifie le plus, c’est ces jugements par comparution immédiate, autant dire une justice d’abattage où comparaissent essentiellement les plus démunis et les étrangers.
    Et les juges reproduisent sans faiblir une justice de classe.
    Nous ne sommes même pas capables de nous inspirer de ce qui est fait, depuis plusieurs années, dans d’autres pays comme les Pays-Bas ou autres.
    Je viens de terminer le dernier livre de Silvia Avallone, “Cœur noir”, et je pense qu’il pourrait donner des idées à bien des politiques ou des juges. Elle a, avant d’écrire son roman, rencontré moult juges, éducateurs et autres auxiliaires de justice, ce que peu de gens pourtant concernés par tous ces problèmes se donnent la peine de faire. Et ce qu’elle écrit est éclairant.
    Comme quoi, la littérature a bien une utilité sociale et politique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *