Le prix Goncourt des détenus a été décerné au siège du CNL ( Centre National du Livre) ce mardi 17 décembre à Sandrine Collette pour son dernier roman Madelaine avant l’aube ( ed. JC Lattès) par un jury de 600 détenus incarcérés dans 45 centres pénitentiaires. Ils ont fait cette année le même choix que le Prix Goncourt des Lycéens et, comme eux, ont eu à choisir entre les seize romans sélectionnés début septembre par les dix jurés du Prix Goncourt.
Ce prix créé en 2022, décerné pour la troisième fois, est porté par le CNL, les ministères de la culture et de la justice et épaulé par des associations telles que « Lire pour en sortir »; il ambitionne de rendre les personnes détenues actrices d’un prix littéraire, en valorisant leur capacité critique tout en leur faisant découvrir des œuvres littéraires nouvelles.
La présidente du CNL, Régine Hatchondo et Philippe Claudel, le président de l’académie Goncourt ( il faut lire « Le bruit des trousseaux » qui rend compte de son expérience de plusieurs années d’enseignement dans les prisons) m’ont encouragé à accompagner ce beau projet et dès le mois de septembre je me suis rendu chaque semaine dans les prisons de Saint Quentin Fallavier et de la Talaudière ( près de Saint Étienne) pour rencontrer les groupes de détenus volontaires pour lire les livres sélectionnés. Ces moments de rencontres et d’échanges autour des livres ont été passionnants et riches dans leur diversité: certains détenus aimaient lire avant d’être incarcérés, d’autres avaient découvert la lecture en prison grâce aux bénévoles dont j’ai découvert le rôle essentiel, certains d’entre eux leur consacrant beaucoup de leur temps, parfois depuis plus de dix ans. Quelques détenus, avant cette aventure du Goncourt , n’avaient pratiquement jamais lu, l’un d’entre eux, âgé de 35 ans annonçait en souriant que, même à l’école, il avait « fait semblant de lire » et qu’il était lui-même surpris d’avoir pris du plaisir à lire cinq livres en un mois. Ce qui m’a particulièrement impressionné c’est la qualité des échanges, la capacité de ces personnes autour d’une table à écouter la parole des autres sans renoncer à défendre leur opinion. Certains livres ont donné lieu à des débats passionnés entre ceux qui avaient adoré et ceux qui avaient détesté et on peut imaginer sans peine que cela s’est passé de la même manière avec les membres de l’académie Goncourt qui ont couronné « Houris » de Kamel Daoud, un livre qu’ Abdel ( le nom a été changé) a lu et défendu avec passion: n’ayant pratiquement jamais lu, il se surprenait lui-même à être capable de lire un livre exigeant de plus de 400 pages qui avait été une véritable révélation… et c’est grâce à lui que je l’ai lu!
À la fin de chaque rencontre, avant de rejoindre leurs cellules, les détenus nous remerciaient chaleureusement pour ce moment de liberté sans aucun jugement et d’échanges respectueux.
Les échanges avec les écrivains venus à leur rencontre ont été pour eux des moments importants. Etienne Kern, venu présenter à Saint-Quentin « La vie meilleure » a été touché par la justesse des questions posées, et des critiques que les lycéens eux-mêmes n’avaient pas osé formuler.
Nous ne savions pas, à la Talaudière, que nous recevions en Sandrine Collette la lauréate du Goncourt des détenus: elle y a rencontré deux groupes de prisonniers réclamant la suite de l’histoire de Madelaine, cette jeune femme rebelle à laquelle ils n’ont pas eu de mal à s’identifier.
La délibération régionale le 29 novembre a permis à deux détenus de chacune des quatre prisons de la région de défendre pendant deux heures les trois livres choisis , malheureusement en « visio », l’administration pénitentiaire de Saint-Quentin et de la Talaudière n’ayant pas permis le déplacement à Lyon des représentants des deux jurys.
Ces rencontres m’ont permis de mesurer les difficultés à faire reconnaître le rôle essentiel de la culture dans les prisons qui n’ont jamais été autant surpeuplées: il y a aujourd’hui en France près de 80000 détenus pour 62000 places; 21000 sont des prévenus en attente de jugement, 3800 personnes sont contraintes de dormir sur un matelas au sol dans des cellules où il y a parfois quatre détenus. Cette surpopulation est le fruit de politiques pénales de plus en plus répressives contrairement à ce que croit la majorité des Français convaincus du laxisme de la justice: en 40 ans, le nombre de personnes détenues pour 100 000 habitants a doublé sans corrélation avec l’évolution de la délinquance.
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