En consacrant mon dernier kaléidoscope aux haïku, je n’avais pas mesuré les liens que cet art philosophique de l’instant pouvait établir avec la marche et le voyage.
C’est en préparant la conférence que j’ai donnée ce jeudi à Estrablin intitulée “la marche dans tous ses états” -dans le cadre de la troisième saison de l’UPOP- que je suis tombé sur un passage de la passionnante “Histoire de la marche ” d’Antoine de Baecque” consacré au Tôkaidô, ce pèlerinage traditionnel qui en 1830 a vu passer près de cinq millions de personnes et qui est aujourd’hui toujours pratiqué avec ferveur.
Et l’on n’est pas surpris d’apprendre que Bashô, l’un des haïkistes les plus renommés, ait décidé, après que sa maison ait brûlé , de prendre la route. La seule année 1689, il parcourt 2400 kilomètres en cinq mois, jalonnant ses parcours de haïku qui traduisent ses états d’âme devant les paysages parcourus :
Voyageur
sera mon nom
je le souhaite
Silence
le chant des cigales
pénètre les rocs
Et puisqu’on évoque les cigales, ce haïku dans ces deux traductions si belles et pourtant si dissemblables
Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin
Rien ne montre dans leur cri
qu’elles vont mourir
les cigales
Dans “L’art presque perdu de ne rien faire” Dany Laferrière écrit que Bashô donne l’impression de cheminer à côté du temps… et écrit par ailleurs “c’est là que j’aimerai vivre, dans un vers de Bashô.”
C’est à Nicolas Bouvier que nous devons la traduction du “Chemin étroit vers les contrées du Nord”, le journal que Bashô consacre à ce long voyage.
“Chaque jour en voyage, il fait du voyage sa demeure ” ainsi Bashô résume-t-il sa pensée.
Et pour terminer, en réponse à mon dernier kaléidoscope, deux haïku , de Bashô justement, envoyés par Jean-Paul -avec le texte en japonais s’il vous plaît !- un composé par Christian au cours de sa marche et un que j’ai fabriqué cette semaine également en marchant.
Amis marcheurs et philosophes de l’instant, à vos plumes!
De temps en temps
Les nuages nous reposent
De tant regarder la lune.
不时
遮住了我们
云
亮这么多。
看
月
Neige qui tombait sur nous deux –
Es-tu la même
Cette année ?
雪落在我们俩身上 –
你是一样的吗?
今年?
De fil en aiguille
j’ourle mon poème
mais il se découd
Cri dans le ciel
vol de cigognes
bu par les nuages
bu par les nuages
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