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KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

 Kaléidoscope 282: Minerai noir de René Depestre.

                         

MINERAI NOIR

 Quand la sueur de l’Indien se trouva brusquement tarie par le soleil 

Quand la frénésie de l’or draina au marché la dernière goutte de sang indien 

De sorte qu’il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d’or 

On se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique 

Pour assurer la relève du désespoir 

Alors commença la ruée vers l’inépuisable 

Trésorerie de la chair noire 

Alors commença la bousculade échevelée 

Vers le rayonnant midi du corps noir 

Et toute la terre retentit du vacarme des pioches 

Dans l’épaisseur du minerai noir 

Et tout juste si des chimistes ne pensèrent 

Au moyen d’obtenir quelque alliage précieux 

Avec le métal noir tout juste si des dames ne 

Rêvèrent d’une batterie de cuisine 

En nègre du Sénégal d’un service à thé 

En massif négrillon des Antilles 

Tout juste si quelque curé 

Ne promit à sa paroisse 

Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir 

Ou encore si un brave Père Noël ne songea

 Pour sa visite annuelle 

A des petits soldats de plomb noir 

Ou si quelque vaillant capitaine 

Ne tailla son épée dans l’ébène minéral 

Toute la terre retentit de la secousse des foreuses 

Dans les entrailles de ma race 

Dans le gisement musculaire de l’homme noir 

Voilà de nombreux siècles que dure l’extraction 

Des merveilles de cette race 

Ô couches métalliques de mon peuple

 Minerai inépuisable de rosée humaine 

Combien de pirates ont exploré de leurs armes 

Les profondeurs obscures de ta chair 

Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin 

A travers la riche végétation des clartés de ton corps    

Jonchant tes années de tiges mortes                                      

Et de flaques de larmes 

Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné 

Comme une terre en labours 

Peuple défriché pour l’enrichissement 

Des grandes foires du monde 

Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle 

Nul n’osera plus couler des canons et des pièces d’or 

Dans le noir métal de ta colère en crue.

   C’est en 1956 que René Depestre fait paraître ce poème qui donnera son titre à un recueil publié chez Présence Africaine et aujourd’hui épuisé: je me souviens avec précision de ma lecture de « Minerai noir », de la nécessité de le lire à pleine voix à mes élèves dont certains s’en étaient emparé à leur tour et en avaient compris la puissance d’évocation.

   René Depestre est aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli et je suis heureux que la belle collection « Poésie/ Gallimard » publie un choix de ses poèmes écrits de 1956 à 1990 sous le titre Journal d’un animal marin. Dans sa préface sensible l’écrivain haïtien Jean d’Amérique – qui est venu plusieurs fois dire ses poèmes à la librairie Lucioles- rend un vibrant hommage à son aîné originaire d’Haïti comme lui. Né en 1926, il devra s’exiler en France où il vit toujours. C’est en 1988 qu’il fera paraître « Hadriana de tous mes rêves » , un roman baroque au réalisme magique qui recevra le prix Renaudot.

« René Depestre écrit avec la rage au ventre, il écrit toujours avec le poing levé. Une énergie qui le fait porter haut et en toutes circonstances les douleurs du monde, tout en semant dans le même geste des graines d’espérance pour des lendemains lumineux. En ce sens, s’il y a par-dessus tout un mot qui définit bien son œuvre, c’est sans doute la révolte. Sa poésie demeure un chant de lutte acharnée contre toutes les formes d’injustice. »

   Le texte qui inaugure le recueil, « L’état de poésie » est un véritable manifeste pour une poésie incarnée et libre et j’aimerais pouvoir en citer toutes les pépites. Voici, pour terminer le premier et les derniers vers d’un des plus beaux poèmes de René Depestre La rivière :

« Voilà. C’est fait: je suis devenu une rivière.

(…)

Je n’aimais pas voir couler les larmes,

étant rivière je pourrai qui sait ?

couler à leur place.

Je n’aimais pas voir verser le sang

étant rivière je pourrai

être versé à sa place.

Mon destin est peut-être d’emporter

à la mer toutes les peines! »

   Le blogue ,qui regroupe mes 282 chroniques écrites depuis un peu plus de cinq années, a connu, ces dernières semaines, quelques vicissitudes et certains d’entre vous se sont retrouvés ( à leur corps défendant ! ) sur un site pornographique. Thierry, que je remercie, a mis fin à ce piratage.

   Vous pouvez désormais accéder sans crainte à tous mes articles.

   J’en profite pour rappeler à mes kaléidoscopeurs peu familiers des blogues, l’invention géniale que représentent les moteurs de recherche et leur fonctionnement:

en bas de page, dans la case « Rechercher », il vous suffit d’inscrire un ou deux mots pour retrouver immédiatement tous les kaléidoscopes qui les contiennent: Prévert est ainsi présent dans 16 articles dont le titre apparaît et que vous pouvez afficher. 

   La libellule a 9 occurrences, l’esclavage 21, les oiseaux s’envolent 63 fois et le chardonneret chante à neuf reprises!

   Haïku apparaît dix fois, dont cinq dans le titre, sur lequel il vous suffit de cliquer pour le découvrir dans son intégralité avec la possibilité en bas de page de laisser un commentaire pour enrichir ce blogue.

              Le  kaléidoscope prend des vacances jusqu’au samedi 27 juillet.


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