La 32ème édition de Lettres sur Cour est intitulée « Un oiseau sur un fil » et nous invite à un envol poétique. Elle commencera ce vendredi 5 juillet à 17h par une rencontre avec Marielle Macé dont le dernier livre Respire ( publié dans la belle collection de poche des éditions Verdier qui auront l’honneur d’une carte blanche ce samedi) « parle d’aujourd’hui, de nos asphyxies et de nos grands besoins d’air. Parce qu’une atmosphère assez irrespirable est en train de devenir notre milieu ordinaire. »
Ce dimanche 7 juillet Valérie Zenatti aura carte blanche et elle échangera « quelques fleurs » avec Colette Fellous avec qui elle dialoguera en fin de journée autour de son dernier livre: Qui-vive.
Elle rendra évidemment hommage à Aaron Appelfeld dont elle a aujourd’hui traduit vingt livres.
Au lendemain de sa mort, en janvier 2018, Valérie Zenatti « ne peut se résoudre à perdre cette voix dont l’écho résonne si puissamment en elle » et ressent la nécessité de retrouver ses traces en Ukraine, à Czernowitz, la ville natale de l’écrivain. Cette quête donnera naissance un an plus tard à ce livre bouleversant « Dans le faisceau des vivants ». Je lui avais consacré mon 35ème kaléidoscope dont vous trouverez ici l’essentiel :
Le 4 janvier 2018, disparaissait l’un des plus grands écrivains israéliens, un des grands écrivains de notre temps, Aaron Appelfeld. Quelques jours après, paraissait en France l’un de ses plus beaux livres “Des jours d’une stupéfiante clarté “.
Et c’est le 3 janvier 2019 que Valérie Zenatti, qui traduit depuis près de quinze ans Aaron Appelfeld, choisit de faire paraître aux éditions de l’Olivier “Dans le faisceau des vivants“, un hommage vibrant d’intensité à un homme d’une autre génération que la sienne avec qui elle va nouer des liens de fraternité.
Comme le dit Valérie Zenatti ” Ce qui a créé des liens fraternels plus que paternels entre nous tient à ce que nous sommes tous deux arrivés à l’adolescence en Israël, et que nous avons tous deux été désorientés par ce pays et sa langue. L’hébreu est entré en moi au même âge que lui. Maintenant qu’il a disparu, il reste une bonne trentaine de ses livres à mettre en français. Pour ma part, je n’imagine pas ma vie d’écrivain sans continuer à le traduire.”
Dans ce livre bouleversant, Valérie Zenatti explique que lorsqu’elle traduit ses livres, ses personnages entrent en elle, pas à pas, et une fois la traduction terminée, ils ne la quittent plus, ils font partie d’elle. “Nous sommes ces enfants qui s’appuient l’un sur l’autre pour grimper aux arbres et survivre dans le nid qu’ils se construisent, craintifs et courageux, confiants et inquiets, affectueux et démunis.”
Elle évoque un entretien à la télévision israélienne dans lequel Aharon Appelfeld déclare :”Mon enfance s’est déroulée pendant la Shoah et comme on le sait, l’enfance est la source des expériences, un être reçoit le monde dans sa totalité à ce moment-là, ensuite nous construisons un sorte d’édifice intellectuel mais l’enfance est notre fondement, notre première rencontre avec le monde, et ma rencontre avec le monde a été celle-ci.”
Valérie Zenatti va ressentir la nécessité de se rendre à Czernowitz sur les lieux de l’enfance de son ami: “Voilà, nous sommes le 16 février 2018, je suis venue à Czernowitz pour l’anniversaire d’Aharon, et le tremblement intérieur qui n’avait cessé depuis début janvier m’a quittée brusquement.(…) Être là-bas, me disais-je, y être enfin, dans ce lieu entré en moi à travers lui”.
Et ce pèlerinage aux sources va nous donner les plus belles pages du livre, celles où Valérie met ses pas dans ceux d’Aaron pour aller au bord de la rivière ” dont les eaux irriguent son écriture depuis si longtemps, insaisissables et toujours changeantes, les eaux de félicité dans lesquelles nage une mère, toujours la même et toujours autre, les eaux des amoureux, celles dont on ressort le corps plus élancé, vivifié, et aussi, les eaux dans lesquelles furent noyés les Juifs.”
On n’oubliera pas non plus de sitôt ces grands chiens silencieux, qui apparaissent comme des fantômes, chiens féraux proches des loups, tour à tour menaçants et protecteurs au bord de la rivière .
Aharon Appelfeld nous avait fait l’honneur de venir fêter le Prix Lucioles qui lui avait été décerné pour La chambre de Mariana. C’était en 2009, quinze ans déjà ! Je me souviens avec émotion de son regard malicieux, de son humour, de son éternelle casquette de marin. Ce soir-là, nous avons tous été frappés par l’évidente complicité qui liait Aaron à sa traductrice, heureuse de porter sa parole, lui chuchotant à l’oreille les questions que nous lui posions. Valérie nous a fait l’amitié d’évoquer ce moment dans La danse vivante des lucioles, ce beau recueil de textes d’écrivains ayant marqué de leur présence les quarante ans d’existence de la librairie : “Nous serons côte à côte, serrés dans une salle comble, lui parlant hébreu, moi le traduisant en français, transmettant de mon mieux aux personnes présentes la profondeur de ses phrases limpides. Nous sommes tous enfants soudain, avec lui dans le réduit où le cache Mariana, avec lui face aux questions immenses que pose la vie, que pose la guerre, que pose l’amour d’un garçon de onze ans pour une femme de vingt-quatre ans. Nous avons tous le sentiment de vivre un moment exceptionnel, c’est-à-dire hors du temps et si proche de ce qui fait battre nos cœurs et interroge nos esprits.”
J’aurai le plaisir, comme l’an dernier ( voir K235: Lettres sur cour: Mahmoud Darwich, Farouk Mardam-Bey, Elias Sanbar… ) d’animer quelques rencontres.
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