« Chers amis
Les temps sont venus où nos routes vont se séparer, je vais désormais emprunter les chemins de l’intime au gré de l’amour de mes tout proches. Je me laisse découvrir chaque matin l’imprévisible, qu’il m’emporte encore plus loin vers le désir et la force de dire oui, de dire non, de rire au ciel, d’écouter la tendresse.
Si vous voulez me retrouver, feuilletez les pages des livres que j’ai écrits, fredonnez les ritournelles que j’ai chantées, j’y serai tel que vous m’avez connu.
Comme je ne me suis réclamé de personne, ne vous réclamez pas de moi.
J’ai eu pour ambition secrète que mes mots vous délestent des maîtres et chapelles qui vous empèsent les rêves
Alors quittons-nous sur une Pensée de Walt Whitman
« Je vous adjure de laisser tout libre, comme j’ai laissé tout libre.
Qui que vous soyez me tenant à présent dans la main, lâchez-moi et partez sur votre propre route. »
La mort d’Henri Gougaud, il y a maintenant près de trois semaines, n’a pas fait la une des gazettes: très peu d’articles dans la presse écrite, rien à la télévision ( il avait été invité plusieurs fois dans les émissions de Bernard Pivot dont la mort récente n’est pas passée inaperçue. ) … et plus étrange encore, silence radio -c’est le cas de le dire- sur les ondes de France Inter dont il a fait les beaux jours, ou plutôt les belles soirées dans les années 70 et 80. Je me souviens de m’être arrêté certains soirs au volant de ma petite voiture pour mieux entendre ( sur mon autoradio grésillant) la voix rocailleuse d’Henri Gougaud raconter dans les émissions de Claude Villers «Pas de panique!» ou «Marche ou rêve» ses histoires mystérieuses à dormir debout ou ses contes.
Les lignes qui commencent ce kaléidoscope sont les derniers mots envoyés sur son blogue le 11 mars par cette très belle personne que j’ai eu le privilège de rencontrer et que je vais évoquer en quelques mots.
Né en 1936, dans un petit village près de Carcassonne, d’un père cheminot et d’une mère institutrice, il est plus attiré par la nature, le monde rural et la poésie que par l’école. Il passe tout de même le bac à Toulouse, où il découvre le milieu des anarchistes espagnols mobilisés contre Franco.
Il monte à Paris pour chanter dans les cabarets où il croise Barbara, Caussimon, Reggiani, Ferrat… Il m’avait raconté, au cours d’un repas, qu’il regrettait de ne pas avoir osé dire à Jacques Brel, qui dînait seul dans un restaurant, sa grande admiration, se souvenant de ses moments de galère, où il aurait aimé que quelqu’un vienne l’encourager.
Il compose pour Gréco, Ferrat… et offre à Serge Reggiani une de ses plus belles chansons «Paris ma rose», hommage au « Temps des cerises »:
« Où est-il passé Clément des cerises ?
Est-elle fermée la longue douleur
Du temps où les gars avaient si grand cœur
Qu’on n’voyait que lui aux trous des chemises? »
C’est beaucoup plus tard, en 1982, que je fais sa connaissance au moment de la publication de son troisième roman Belibaste où il nous embarque sur les pas d’un hérétique cathare, un aventurier dont il nous dit: «J’aime cet homme parce que je crois que si Dieu existe, il est dans les questions, les révoltes et les douleurs des cancres, plus que dans les réponses des sages. »
Henri Gougaud était un formidable et généreux conteur qui nous avait gratifiés d’un petit récital pour fêter les dix ans de la librairie. Parmi ses innombrables recueils, si vous ne les connaissez pas encore, n’hésitez pas à escalader L’arbre à soleils, L’arbre aux trésors et L’arbre d’amour et de sagesse dans lesquels Henri Gougaud a regroupé les plus beaux contes et les plus belles légendes du monde entier où se loge « un savoir inexplicable, et pourtant nourrissant, un savoir que je ne peux comparer qu’à la saveur d’un fruit en bouche. Les contes et les légendes sont exactement comme des fruits, tout aussi innocents, tout aussi nécessaires. »
Au lendemain de sa mort ce sont les paroles d’une des premières chansons d’Henri Gougaud Le temps de vivre qu’on peut encore retrouver sur son blogue et dont voici les premiers vers:
« A peine a-t-on le temps de vivre
qu’on se retrouve cendre et givre
Adieu
Et pourtant j’aurais tant à faire
avant que les mains de la terre
me ferment à jamais les yeux… »
La camarde continue de poursuivre « d’un zèle imbécile » – selon les mots de l’ami Georges Brassens- les écrivains que nous avons aimés: elle a fauché cette semaine la discrète Claude Pujade-Renaud dont les livres ont jalonné le parcours de très nombreux libraires. Au moment du passage de flambeau à Alain et Renaud elle m’avait envoyé un texte dont je recopie, treize ans après, les premières lignes: « lorsqu’on patauge dans le travail obscur de l’écriture, on est réconforté de savoir qu’il existe des librairies, telles Lucioles : des lieux de vie et d’exigence, de lucidité et de rencontres chaleureuses. Souvenirs précieux que ces rencontres (…), ces échanges avec des lecteurs, au regard affûté, sensible. »
La plupart de ses livres sont publiés chez Actes Sud et elle avait eu un beau succès en 1994 avec «Belle mère» qui avait reçu le prix Goncourt des lycéens.
Ses rencontres à la librairie étaient des moments forts et simples. Elle parlait d’une voix ferme et douce de la danse qu’elle avait enseignée, disant avec humour: « J’ai tout commencé un peu trop tard, la danse vers 18 ans, l’écriture après 40 ans. »
Je voudrais pouvoir évoquer tous ses livres mais j’ai une tendresse particulière pour Chers disparus dans lequel elle donne la parole aux veuves de cinq écrivains: Jules Michelet, Robert-Louis Stevenson, Marcel Schwob, Jules Renard et Jack London. Un livre dédié, comme tous ses livres, à Daniel Zimmerman, son grand amour pendant vingt ans, trop tôt disparu. Ce fut l’occasion d’une belle rencontre avec Philippe Besson qui venait d’écrire «Les jours fragiles » qui mettait finement en lumière le cheminement d’Isabelle Rimbaud aux côtés de son frère. Cette plongée dans les coulisses de la création est conduite avec finesse et subtilité, sans rien cacher de sa part obscure comme dans Les femmes du braconnier où Claude Pujade-Renaud met en scène la relation complexe du poète Ted Hughes et de Sylvia Plath.
Les écrivains ne meurent que si nous cessons de les lire. Ils nous accompagnent au cours de nos vies et nous font découvrir à quel point nous sommes reliés les uns aux autres.
Répondre à Phil Puygrenier Annuler la réponse