Je crois que tout le monde se souvient du moment où il a appris à faire du vélo, instant magique où l’on a le sentiment d’échapper à la pesanteur, de défier les lois de la gravité… même si l’instant reste fugace… au moment de la chute, car notre joie est telle: “JE SAIS FAIRE DU VÉLO !!!” …qu’on a oublié de freiner.
Et si on se souvient de son premier envol sur la petite reine, on se souvient aussi de celui de nos enfants.
Une fois qu’on sait nager, une fois qu’on sait faire du vélo, c’est pour la vie. Mais c’est la pratique du vélo qui est la plus belle métaphore de la vie et de la transmission.
C’est en montagne que la pratique du vélo prend toute sa dimension. Au pied d’un col, on est heureux de pédaler vers le but qu’on s’est fixé, sans aucune nécessité, si ce n’est celle de se dépasser un peu, de mettre son corps à l’épreuve. Les premiers tours de roue, le nez au vent, sont une belle promesse. On prend le temps de regarder la nature, les arbres, la montagne, les glaciers, ce lézard ou ce scarabée qui traverse la route, d’écouter de bon matin le chant des oiseaux, le grondement des torrents ou le murmure des ruisseaux.
À chaque kilomètre les bornes nous indiquent la pente: 4%. Tout va bien! 8%. Les choses sérieuses commencent! Le souffle se fait plus court. On mouline de plus en plus. L’esprit gamberge. Pourquoi s’imposer cette épreuve? Les muscles sont douloureux. Le soleil cogne plus fort. La sueur vous pique les yeux. On a la gorge sèche. Qu’est-ce qui m’a pris d’accepter cette escapade? Cela fait une bonne heure que nous roulons en plein soleil…. Ah! Trois arbres au bord de la route, quelques secondes de fraîcheur seulement. 10% et sommet à 8km indique la borne. On se met en danseuse (dans l’élégant jargon des cyclistes on donne un “coup de cul”!) pour relancer la douloureuse machine. Le souffle s’accélère. On attend avec impatience la prochaine borne. 6 % seulement! Ah non! On a mal lu:8 %.
On pense aux amis qui ne peuvent plus faire autant d’efforts. On roule pour eux et on mesure notre chance. Mais quelques minutes plus tard, au milieu d’un raidillon, on se dit: “À quoi bon?”. Il ne manquait plus que ce vent de face qui a décidé de vous ralentir encore. Et ce cycliste qui vient de vous doubler avec un joyeux bonjour… et qu’on ne voit déjà plus au virage suivant. Et ces motos qui vous dépassent à toute berzingue dans un bruit d’enfer.
Quelques minutes plus tard, le découragement fait place au bonheur de rouler en toute liberté, les endorphines se sont mises en place et nous euphorisent. Et ce vent frais qui vous ralentissait, après l’épingle à cheveux, rafraîchit maintenant les ailes qui viennent de vous pousser dans le dos!
C’est le cas de le dire, le vélocipède est vraiment une activité qui exacerbe la cyclothymie!
Enfin le col est en vue: chaque coup de pédale vous en rapproche. En montée, chacun roule à son rythme et c’est un vrai bonheur de retrouver au sommet son compagnon d’efforts et de partager avec lui la joie d’avoir triomphé, d’admirer ensemble ce grandiose panorama.
La descente est grisante et nous donne souvent la mesure de notre fragilité. Mais quel bonheur de dévaler, parfois à plus de 50 km/heure, ces pentes qui nous ont fait souffrir et de pouvoir enfin admirer la beauté des montagnes, de chanter à tue-tête, de s’arrêter, au bord d’un ruisseau, pour admirer un véritable massif de renoncules des glaciers, des silènes acaules, des doronics à grandes fleurs d’un jaune éclatant…
Comme l’écrit Paul Fournel, “enfourcher un vélo, ce n’est pas monter sur une machine pour l’oublier, c’est, au contraire, entamer un débat permanent avec elle. Enfourcher un vélo c’est prendre possession du paysage.”
Kaléidoscope 195: à vélo dans les Alpes.
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