La photographie, aujourd’hui à la portée de tout possesseur d’un téléphone, s’est banalisée au point qu’on a du mal à la considérer comme un art. Il suffit pourtant de regarder les photos de Vivian Maier,  Gerda Taro, Gilbert Garcin, Sebastião Salgado ( le moteur de recherche au pied de cette chronique vous permet de les retrouver sur ce blogue) pour voir qu’à chaque fois on reconnaît le regard singulier de l’artiste.

  Le nom d’Elliott Erwitt est moins connu que ceux d’Henri Cartier-Bresson ou Robert Doisneau. Il fait pourtant partie de ces photographes dont on reconnaît les clichés au premier coup d’œil: nous sommes nombreux à visualiser cette photo d’un chihuahua à bonnet et manteau tricoté, tenu en laisse par sa maîtresse dont on ne voit que les bottes à côté des longues pattes avant d’un molosse ( vous l’avez?! ).
« Je pense que la chose la plus importante que l’on puisse faire en photographie est de susciter l’émotion, de faire rire ou pleurer, ou les deux à la fois. » disait cet homme qui vient de disparaître. Il était né en 1928 à Paris de parents juifs russes fuyant la révolution de 1917, puis l’Italie de Mussolini pour s’installer à la veille de la guerre en 1939 aux États-Unis. « Grâce à Mussolini, je suis américain » ironisait-il. Son apprentissage laborieux de l’anglais à l’âge de onze ans explique peut-être son attrait pour la photo: « le but de prendre des photos, c’est de ne pas avoir à expliquer les choses avec des mots. » disait-Il. À seize ans, après la séparation de ses parents la photo est son gagne-pain.
  Son art de l’observation est manifeste dès ses débuts et il impose rapidement sa patte avec ses photos de chiens à qui il consacrera cinq livres: « Je  photographie beaucoup les chiens parce que je les aime, parce qu’ils ne refusent pas d’être photographiés et parce qu’ils ne demandent pas de tirages. » Mais Erwitt se met aussi à hauteur d’enfants et je ne suis pas prêt d’oublier la photo de ce jeune garçon noir, pistolet en plastique collé sur la tempe et souriant de toutes ses dents. Prise à Pittsburgh en 1950 alors que le photographe a 22 ans, elle résonne fortement aujourd’hui, plus de soixante dix ans après, dans une métropole toujours marquée par le racisme et la ségrégation.

   Je ne me souvenais pas que cette photo iconique du visage radieux, dans un rétroviseur, d’une femme qui embrasse un homme dont on ne voit que le profil avait été prise par Erwitt en 1956. Nous avons bien failli ne pas la connaître puisque son auteur ne l’a redécouverte dans ses cartons qu’en 1988.

   On imagine un brin espiègle de mise en scène dans cette photo d’une séance de pose dans un atelier d’artistes où ce sont les apprentis artistes qui sont nus – à l’exception de chaudes chaussettes!- devant un modèle habillé de pied en cap.

   Toute l’humanité goguenarde d’ Erwitt, mélange de profondeur et de légèreté, est résumée dans cette photo prise en URSS en 1967 d’un couple de jeunes mariés assis dans un couloir. J’imagine qu’ils attendent de passer devant monsieur le maire. Ils jettent un regard inquiet  sur l’homme assis à côté d’eux, visage moqueur et attitude décontractée de celui qui n’envisage pas un instant de renoncer à sa liberté.

   Toutes les photos que j’ai évoquées sont visibles dans la 74ème livraison de 100 photos pour la liberté de la presse, livre publié par Reporters sans frontières. 144 pages ( 12€50)  consacrées à Elliott Erwitt au bénéfice des actions de défense du droit de l’information dans le monde et de la liberté de la presse menacée dans la plupart des pays du monde comme le montre une inquiétante double page. Comme le dit Pierre Haski, Président de Reporters sans frontières: « nous sommes dans un monde où la moitié de la population n’a pas accès à une information libre, et l’autre est soumise aux fake news . Le journaliste, c’est la vigie dont la démocratie a besoin. »

   Les heureux habitants de Lyon et des environs ont jusqu’au 17 mars 2024 pour voir la formidable rétrospective Elliott Erwitt présentée à la Sucrière: 215 photos, la plupart en noir et blanc mais aussi en couleurs résumant 70 ans de photographie.

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