Après Michel Piccoli, c’est au tour de Jean-loup Dabadie puis de Guy Bedos de lâcher la rampe.
Le mot saltimbanque convient à tous les trois. Longtemps péjoratif, le vocable fut synonyme de bateleur et même de bouffon avant d’être revendiqué par les artistes du spectacle vivant.
Jouer la comédie, faire rire, écrire des chansons, des activités fort peu sérieuses que voilà ! Et pourtant que seraient nos vies sans elles?
Avec ces trois baladins, c’est toute une époque qui disparaît, celle de Desproges et de Claude Sautet, d’Yves Robert et de Romy Schneider.
J’ai beaucoup aimé Guy Bedos, sa dégaine de petit boxeur têtu, le regard malicieux et pétillant, la vacherie bien envoyée toujours au coin des lèvres. Sa révolte vient de loin, de son enfance algéroise dans une famille raciste et pétainiste : “le premier gouvernement que j’ai eu à subir, c’est ma mère et mon beau-père. Ma constance dans la rébellion vient de là.”
Dans ses sketches et ses célèbres revues de presse, qu’il distillait en arpentant énergiquement la scène,tout le monde en prend pour son grade, même s’il a toujours eu le cœur à gauche, s’engageant aux côtés des sans-papiers et des sans-logement. “Sa grande gueule et son entêtement à refuser les compromissions le faisait ressembler à un mixte de d’Artagnan , Cyrano et Astérix.” écrit joliment Pierre Murat dans Télérama cette semaine. Écoutez la belle lettre d’amour que lui envoie cette semaine son fils Nicolas sur France Inter: https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-01-juin-2020

Michel Piccoli employait pour qualifier son ami Jean-Loup Dabadie (le bien-aimé parrain de Nicolas Bedos), le mot valise de “mélancomique” qui aurait aussi pu convenir à Guy Bedos pour qui Dabadie avait écrit des sketches inoubliables comme Le boxeur ou Bonne fête Paulette.
Dabadie restera à jamais aussi comme le scénariste de Claude Sautet et d’Yves Robert, l’auteur de plus de 300 chansons pour Julien Clerc, Michel Polnareff et ce Temps qui reste qu’il a écrit pour Serge Reggiani, ce cri d’amour de la vie, d’appel à la vie qui m’émeut à chaque fois que la voix vibrante, cassée par les années, les émotions, le “vin de la vie” quoi!…de ce saltimbanque génial qui l’interprète pour l’éternité.

Le Temps Qui Reste

Combien de temps
Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures, combien

Quand j’y pense, mon coeur bat si fort
Mon pays c’est la vie
Combien de temps encore
Combien
Je l’aime tant, le temps qui reste
Je veux rire, courir, pleurer, parler
Et voir, et croire, et boire, danser
Crier, manger, nager, bondir, désobéir
J’ai pas fini, j’ai pas fini
Voler, chanter, partir, repartir
Souffrir, aimer
Je l’aime tant le temps qui reste

Je ne sais plus où je suis né, ni quand
Je sais qu’il n’y a pas longtemps
Et que mon pays c’est la vie
Je sais aussi que mon père disait
Le temps c’est comme ton pain
Gardes-en pour demain

J’ai encore du pain
Encore du temps, mais combien
Je veux jouer encore
Je veux rire des montagnes de rires
Je veux pleurer des torrents de larmes
Je veux boire des bateaux entiers de vin
De Bordeaux et d’Italie
Et danser, crier, voler, nager dans tous les océans
J’ai pas fini, j’ai pas fini
Je veux chanter
Je veux parler jusqu’à la fin de ma voix
Je l’aime tant le temps qui reste

Combien de temps
Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures, combien?

Je veux des histoires, des voyages
J’ai tant de gens à voir, tant d’images
Des enfants, des femmes, des grands hommes
Des petits hommes, des marrants, des tristes
Des très intelligents et des cons
C’est drôle, les cons ça repose
C’est comme le feuillage au milieu des roses

Combien de temps
Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures, combien

Je m’en fous, mon amour
Quand l’orchestre s’arrêtera, je danserai encore
Quand les avions ne voleront plus, je volerai tout seul
Quand le temps s’arrêtera
Je t’aimerai encore
Je ne sais pas où, je ne sais pas comment
Mais je t’aimerai encore
D’accord.

Merci à Joël Vernet pour le texte inédit qu’il nous offre. Fidèle de la première heure de ce kaléidoscope, il avait contribué au numéro 4 avec un très beau texte intitulé “Ma vie ne sera plus jamais sommeil”, écrit en traversant la place centrale du marché de Bamako.

Lisez, entre autres, ses Carnets du lent chemin, ces ” copeaux ” accumulés au fil des années 1978 à 2016 : notes, aphorismes, bouts de phrases, flâneries dans “la belle palpitation du monde”.

6 avril 2019
Mes yeux ont vu, mes oreilles ont entendu des poètes lire leurs poèmes, et leurs lectures m’ont bouleversé jusqu’aux larmes. Plus que leurs poèmes, j’ai souvent aimé la silhouette des poètes, leur allure souvent humble. Je n’ai guère d’égards pour les poètes péremptoires. J’ai un faible pour les poètes paysans, les poètes effacés, les poètes invisibles, les poètes ne parvenant pas à publier leurs livres. Les poètes prix Nobel ne me fascinent pas. Ils sont comme des statues mortes sur des Olympes. J’aime les poètes perdus dans les foules des peuples, abandonnés au fond de bistrots ténébreux où la chaleur d’été n’entre pas. J’aime ces poètes qui sont tout yeux, tout oreilles, qui pourraient taper les cartes sur de vieilles toiles cirées. J’aime les poètes qui n’ont pas de carte de visite à sortir à tout bout de champ. J’aime les poètes qui sentent le foin, le froid de petites ruelles. J’aime les poètes dont nul ne connaît le nom.

Merci à Christian D. qui m’a envoyé ces trois poèmes originaux où l’érudition le dispute à l’humour !
Feux follets
(sonnet)
Nous marchions, Lorenza, tous les deux sous les yeuses
et les cyprès ployés par le souffle des vents.
Dédaignant les choucas et les engoulevents,
les collines dressaient leurs façades crayeuses.

La campagne était belle et les filles joyeuses,
qui riaient et chantaient en levant haut leurs vans.
Et dans le ciel marbré, les nuages mouvants
esquissaient à leur gré des fresques capricieuses.

De l’ardente saison, je n’ai pas oublié
le roulis des blés mûrs ni tes seins de statue
qu’en riant tu couvrais de ton bras replié,

Ni l’écho de ta voix qui lançait, ingénue,
– pendant que sur ton corps je tirais les volets –
des mots d’amour ténus comme des feux follets.

MÉTÉOS
Frère occulte et raillé du brillant Apollon,
Météos était né dans la neige et la bruine,
Du ventre d’une nymphe, au bruit du tympanon.
Zeus l’avait éreintée, ainsi qu’on l’imagine.

Des dieux, aucun n’était le maître des climats,
Des zéphyrs, des typhons, du sec et de l’humide.
Météos put régir la grêle et les frimas,
Les tourbillons de sable et la vague intrépide.

Il guida de son bras l’auster et l’étésien,
Sur les flots écumants, fit lever les bourrasques
Et noya le Crétois, le Thrace et le Phrygien.

Zeus s’alarma trop tard de ces sanglantes frasques
Et son foudre tomba aux mains de Météos,
Qui ravagea l’Olympe et détrôna le boss.

BIBLIQUES
Là-haut sur le Mont Sinaï,
Moïse eut le sourcil roussi.
Jamais rien ne me réussit,
Pleura-t-il ébahi.
*
Il gémit sur son grabat, Job,
Peu vêtu, sans même une robe ;
Sale comme un pou hydrophobe,
Il a perdu son job.
*
De trancher d’un seul coup de sabre
Le nouveau-né, cet innocent,
Salomon repousse en gloussant
La tentation macabre.

  • Ésaü, pour un mets sans graisse,
    – Des lentilles, bien entendu –
    Abandonna son droit d’aînesse :
    Malheur au barbu !
    *
    Pourquoi, dans cette mer jaunasse,
    Dieu choisit-il, pauvre Jonas,
    Que t’avalât cette baleine
    À la putride haleine ? Mais cette 101ème chronique sera conclue par Mireille, ma première lectrice, pas forcément la plus indulgente – mais peut-être va-t-elle corriger cette phrase ! – “Qui aime bien, châtie bien.” Me consolai-je! Du fond du cœur, je la remercie.
    SAMEDI

Michel écrit
Je relis
Modifie
Un point sur un i.

Je relis
Mon thé refroidit
Je donne mon avis
C’est beau la vie.

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