“Je ne peux plus respirer”, ces mots prononcés par George Floyd, étouffé pendant 9 minutes par le genou de ce policier américain assassin, auraient pu être prononcés par Adama Traoré, mort en 2016 sous le poids d’un flic bien de chez nous.

La force de ces images insoutenables de violence policière a fait se lever, dans le monde entier, des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des noirs et des blancs. Des personnes qu’on n’avait jamais vu manifester, des jeunes des banlieues, des quartiers au coude à coude avec des “petits blancs”. Des êtres humains défilant en masse et en masques dans des lieux entièrement vides quelques jours auparavant.

   Mais, me direz-vous ce n'est pas mon problème, je ne suis pas raciste, moi. Je respecte tous les êtres humains. Et puis, ce n'est pas normal de comparer la situation du racisme en France et aux États-Unis. 

En êtes-vous vraiment sûr ? Croyez-vous vraiment que l’esclavage ne nous concerne pas? La chercheuse Maboula Soumahoro (entretien dans Libération du jeudi 11 juin), maîtresse de conférence à l’université de Tours, propose une piste de réflexion intéressante: “nous acceptons l’idée qu’il y a un fonctionnement raciste aux États-Unis. Sur quoi repose ce racisme ? Prenons quelques éléments : la traite négrière outre-Atlantique, l’esclavage, et le fonctionnement d’incarcération de masse. Ça on peut l’accepter. Maintenant, posant la même question sur la situation française : est-ce que la France n’a pas participé à la traite négrière ? N’a-t-elle pas été un pays colonialiste? N’est-elle pas, toujours, un pays post-colonial (ou néocolonial)? Si la réponse à ces questions est oui, alors la France est dans une situation similaire -ce qui ne veut pas dire identique. Comment peut-on fermer les yeux sur de tels faits? ” La chercheuse ajoute que “les médias français peuvent dire, sans peine, qu’aux États-Unis un homme noir a été tué par des policiers blancs. Mais lorsqu’on parle d’un fait similaire en France, il devient impossible d’utiliser les mêmes termes, au motif que la France serait différente.”

Ce modeste kaléidoscope n’ambitionne pas de faire le tour de la question du racisme mais je vous propose d’écouter les paroles fortes d’une femme blanche Virginie Despentes et d’un homme noir Dany Laferrière.

Elles nous invitent à changer notre regard, à comprendre que, comme le dit James Baldwin dans La prochaine fois, le feu, la question du racisme, c’est la question de tout le monde.

https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-juin-2020

https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-culture/invite-culture-des-matins-du-samedi-2-du-samedi-06-juin-2020#xtor=CS4-1
“Je ne peux plus respirer” ( Maintenant cri de ralliement du mouvement BlackLivesMatter– la Vie des Noirs Compte) ont pu être aussi les derniers mots prononcés par des êtres humains, morts du Coronavirus, et je me demande si ce n’est pas cette atteinte à cette fonction vitale qu’est la respiration qui a mis -inconsciemment- des millions d’êtres humains en état de suffocation.

Faisons le rêve que le combat contre le virus du racisme soit gagné par l’éducation . Comme le disait Martin Luther King: “Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots.”

   Et pour terminer, un texte inédit de notre ami Jean-Yves Loude qui n'a cessé de nous faire découvrir, à chacun de ses livres, le monde... qui ne tourne pas très rond en ce moment. L'effaceur évoque ces invisibles, ces êtres humains, nos frères, qu'en réalité nous décidons de ne pas voir. Ayons une pensée pour nos frères brésiliens victimes d'une triple peine: le virus, nié par le fascisme, et la misère.

L’effaceur

Moi Rui Papel, dit l’effaceur, je balaie les caniveaux. Je chasse les pelures. Je traque les mégots. Je pousse à l’égout vos papiers gras, vos magazines déprimants. J’efface la saleté de ceux qui ont la courtoisie de balancer par terre les paquets de cigarettes froissés ou les canettes cabossées. Je les en remercie. Grâce à leur mépris de l’espace public, j’existe. Leur désinvolture me fournit un emploi. Aucune carte, aucun papier officiel n’attestent mon existence. Je ne suis qu’une ombre maculée entre des voitures qui m’éclaboussent. Les flics ne pensent pas à vérifier l’identité d’un ange étranger qui veille à la propreté de la ville. Je manipule un outil à long manche, un balai, une arme contre le désordre. Je fais vaguement partie des agents de l’ordre. J’extermine les scories. À chacun son obsession des déchets. Je m’appelle Rui Papel : Papier Rouge ou Rutilant. La vie se moque des pauvres. Dans mon pays d’origine, Papel veut dire “rôle” ou “papier”. Un double sens. C’est drôle : je n’ai ni l’un ni l’autre. Je ne peux rien écrire sur moi. Chaque jour, j’efface mes traces. Je me sais recherché, poursuivi. Ceux qui m’ont contraint à la fuite veulent me réduire en pelures, en rognures, en résidus et me balayer. Me pousser hors du caniveau dans la bouche d’égout de la mémoire. Dans la bouche dégoût de l’Histoire. Je n’ai pas appris à lire ni à écrire. J’ai seulement su dire Non. Trois lettres suffisent à sceller votre sort, à sentir l’haleine des chiens dans votre dos, à voir la frontière comme la seule issue de secours. Moi Rui Papel, dit l’effaceur, je sens ma silhouette se plier, se recroqueviller. Ici comme ailleurs, je n’ai pas réussi à redresser le dos, à lever la tête, à regarder le soleil. J’ai vécu dans des réduits. Les zones obscures des sociétés éclairées sont humides. Je dors sur des journaux que je ramasse dans les poubelles. Le monde me sert de matelas. Je sens sa respiration. Je capte sa transpiration. Je me réveille le dos noirci par l’encre des nouvelles. Je deviens imprimé. J’ai peur qu’on me déchiffre, qu’on lise ma peur. Attrapé, je serai renvoyé comme un paquet. Si je suis expulsé, je serai tamponné, happé par la machine qui broie les négations. Je serai pilonné comme on fait des vieux papiers. O nha mãe, ô ma mère, c’est mon destin d’être froissé à jamais. Moi Rui Papel, l’effaceur effacé.

Et si vous n’avez pas eu la chance de voir au musée des Confluences de Lyon l’exposition de Jean-Yves Loude, Viviane Lièvre et Hervé Nègre Fêtes himalayennes, les derniers Kalash voici le lien pour une très réussie visite virtuelle. Huit séjours et quinze années d’études parmi cette population peu connue de l’Himalaya ont permis au trio de rassembler un fonds exceptionnel donné au musée des confluences.

430 000 visiteurs ont pu découvrir cette exposition l'année dernière. Avec cette visite virtuelle à 360° et interactive vous êtes invités à voir les films, les objets et les photographies présentées. Partez à la découverte d'une civilisation oubliée.

http://kalash.museedesconfluences.fr/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *