MINERAI NOIR
Quand la sueur de l’Indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l’or draina au marché la dernière goutte de sang indien
De sorte qu’il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d’or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l’inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l’épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d’obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Rêvèrent d’une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d’un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Père Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
A des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l’ébène minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l’homme noir
Voilà de nombreux siècles que dure l’extraction
Des merveilles de cette race
Ô couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin
A travers la riche végétation des clartés de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l’enrichissement
Des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n’osera plus couler des canons et des pièces d’or
Dans le noir métal de ta colère en crue.
C’est en 1956 que René Depestre fait paraître ce poème qui donnera son titre à un recueil publié chez Présence Africaine et aujourd’hui épuisé: je me souviens avec précision de ma lecture de « Minerai noir », de la nécessité de le lire à pleine voix à mes élèves dont certains s’en étaient emparé à leur tour et en avaient compris la puissance d’évocation.
René Depestre est aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli et je suis heureux que la belle collection « Poésie/ Gallimard » publie un choix de ses poèmes écrits de 1956 à 1990 sous le titre Journal d’un animal marin. Dans sa préface sensible l’écrivain haïtien Jean d’Amérique – qui est venu plusieurs fois dire ses poèmes à la librairie Lucioles- rend un vibrant hommage à son aîné originaire d’Haïti comme lui. Né en 1926, il devra s’exiler en France où il vit toujours. C’est en 1988 qu’il fera paraître « Hadriana de tous mes rêves » , un roman baroque au réalisme magique qui recevra le prix Renaudot.
« René Depestre écrit avec la rage au ventre, il écrit toujours avec le poing levé. Une énergie qui le fait porter haut et en toutes circonstances les douleurs du monde, tout en semant dans le même geste des graines d’espérance pour des lendemains lumineux. En ce sens, s’il y a par-dessus tout un mot qui définit bien son œuvre, c’est sans doute la révolte. Sa poésie demeure un chant de lutte acharnée contre toutes les formes d’injustice. »
Le texte qui inaugure le recueil, « L’état de poésie » est un véritable manifeste pour une poésie incarnée et libre et j’aimerais pouvoir en citer toutes les pépites. Voici, pour terminer le premier et les derniers vers d’un des plus beaux poèmes de René Depestre La rivière :
« Voilà. C’est fait: je suis devenu une rivière.
(…)
Je n’aimais pas voir couler les larmes,
étant rivière je pourrai qui sait ?
couler à leur place.
Je n’aimais pas voir verser le sang
étant rivière je pourrai
être versé à sa place.
Mon destin est peut-être d’emporter
à la mer toutes les peines! »
Le blogue ,qui regroupe mes 282 chroniques écrites depuis un peu plus de cinq années, a connu, ces dernières semaines, quelques vicissitudes et certains d’entre vous se sont retrouvés ( à leur corps défendant ! ) sur un site pornographique. Thierry, que je remercie, a mis fin à ce piratage.
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J’en profite pour rappeler à mes kaléidoscopeurs peu familiers des blogues, l’invention géniale que représentent les moteurs de recherche et leur fonctionnement:
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La libellule a 9 occurrences, l’esclavage 21, les oiseaux s’envolent 63 fois et le chardonneret chante à neuf reprises!
Haïku apparaît dix fois, dont cinq dans le titre, sur lequel il vous suffit de cliquer pour le découvrir dans son intégralité avec la possibilité en bas de page de laisser un commentaire pour enrichir ce blogue.
Le kaléidoscope prend des vacances jusqu’au samedi 27 juillet.
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