“Il y a trois ans j’étais encore groggy après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Le projet que je développais depuis des années sur la montée insidieuse des mouvements conservateurs et populistes était soudain complètement dépassé. En revanche, Dark Waters m’a semblé pertinent, en ces temps effrayants de gouvernance viciée, de pouvoirs économiques sans foi ni loi. Il m’évoque l’engagement du cinéma américain d’il y a 30 ou 40 ans, dont les héros en quête de vérité n’avaient rien de triomphant.”
Ainsi s’exprime Todd Haynes dans un très bon article de Télérama à propos de son nouveau film.
À vrai dire, on n’attendait pas forcément le réalisateur américain sur un tel projet. Carol, l’un de ses derniers films, décrivait, dans l’Amérique conservatrice des années 50, la relation amoureuse entre une jeune vendeuse et une bourgeoise en instance de divorce magistralement interprétée par Cate Blanchett.
C’est l’acteur principal du film Mark Ruffalo ( que mes quelques jeunes kaléidoscopeurs connaissent mieux pour son “rôle” du monstrueux Hulk des Avengers que pour ses prestations dans Foxcatcher et surtout Spotlight) qui est à l’initiative de Dark Waters et en est même le producteur. En 2016 il tombe sur un article du New York Times dénonçant les agissements de la multinationale de l’industrie chimique DuPont ( de Nemours) qui a sciemment empoisonné ses employés et plusieurs communautés agricoles de Virginie occidentale en déversant 7000 tonnes de produits toxiques contaminant des sources d’eau alimentant plus de 100 000 personnes.
À chaque fois, le scénario est désespérément le même : qu’il s’agisse des industriels du tabac, des produits pharmaceutiques, de l’agroalimentaire, de la chimie… tous les moyens sont bons pour défendre les intérêts économiques sans jamais prendre en compte le facteur humain. À chaque fois c’est David contre Goliath, le pot de terre contre le pot de fer.
Robert Bilot, trentenaire consciencieux, catholique pratiquant, bon époux et bon père de famille est avocat dans un cabinet d’affaires qui défend les intérêts des industriels de la chimie… jusqu’au jour où un fermier, voisin de sa grand-mère chez qui il allait, enfant, passer ses vacances le sollicite après avoir vu dépérir et mourir ses vaches, contaminées par les déchets de DuPont. L’avocat va consciencieusement décortiquer les tonnes de documents que la multinationale lui envoie pour le décourager. Il va progressivement comprendre que DuPont connaissait, dès les années 50 les dangers de ce téflon- qui recouvre nos poêles à frire- et dont les déchets toxiques produits restent actifs pendant la bagatelle de quelques milliers d’années !
Les couleurs crépusculaires du film et la capacité d’incarnation de Mark Ruffalo ( qui soutient aujourd’hui la cause de Bernie Sanders et vient de témoigner au parlement européen des dangers de la fracturation hydraulique) rendent magistralement compte de ce procès en eaux troubles et de la dégueulasserie des pressions employées par la firme. Et même si le procès contre DuPont a été gagné, la guerre est loin d’être terminée puisqu’il n’existe toujours pas à ce jour de régulation pour ces produits chimiques qui empoisonnent notre chère planète.
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