La littérature américaine, je devrais dire états-uniennes, n’a pas fini de nous étonner par sa diversité: quoi de commun en effet entre Toni Morrison, Russell Banks, Philip Roth ou Jim Harrison ?
En ce début d’année, deux livres viennent confirmer cette vitalité : Là où chantent les écrevisses est une véritable découverte. Son auteur Delia Owens s’est fait connaître aux États-Unis par ses ouvrages consacrés à la nature et aux animaux. Là où chantent les écrevisses est son premier roman. Dès le prologue le drame se noue:” le matin du 30 octobre 1969, le corps de Chase Andrew fut retrouvé dans le marécage.” Le premier chapitre nous ramène en arrière, en 1952, quand Ma décide d’abandonner ses cinq enfants et la violence de Pa, le père alcoolique.
Toute l’action du livre se situe en Caroline du Nord, dans des marais où Kya, sauvageonne surnommée la fille des marais, abandonnée à l’âge de 10 ans, apprend à vivre seule, rejetée par les habitants de la région. Elle va développer une extraordinaire connaissance de la nature :”La nature l’avait nourrie, instruite et protégée quand personne n’était là pour le faire.” Cette nature n’est cependant jamais décrite de manière idyllique et se révèle parfois particulièrement violente:” Les colombes entre elles se battent aussi souvent que les faucons.(…) Les lucioles femelles attirent les mâles d’autres espèces par des signaux trompeurs et les mangent ; les mantes religieuses femelles dévorent leurs propres compagnons.”
Tate, un jeune homme sensible et doux va lui apprendre à lire et à écrire. Mais lui aussi va l’abandonner et Kya, à nouveau seule, va faire une très mauvaise rencontre…
Nickolas Butler , qui a écrit Le petit–fils, bien qu’il ait trente ans de moins que Délia Owens n’en est pas à son coup d’essai. J’avais beaucoup aimé son premier livre, profondément original et subtil, Retour à Little Wing (réédité en poche) où de jeunes trentenaires, jadis inséparables, se retrouvaient dans leur ville natale du Wisconsin.
Le Wisconsin est, cette fois encore, le cadre du quatrième livre de Nickolas Butler. Lyle et sa femme Peg y vivent dans leur petite maison au rythme des saisons. À la retraite, Lyle entretient amoureusement un verger planté de pommiers. Il adore Isaac, son petit-fils venu s’installer chez lui avec sa mère, Shiloh qui va s’enticher d’un prédicateur intégriste décrétant qu’Isaac possède des talents de guérisseur.
L’Amérique profonde est au cœur du bouleversant livre de Nickolas Butler, merveille de délicatesse et d’humour. Lyle et son vieil ami Hoot, grand fumeur et grand buveur devant l’éternel, sont des personnages profondément humains.
Comme dans Retour à Little Wing, l’attachement à une communauté rurale et à un territoire sont une force puissante et comme dans Là où chantent les écrevisses la nature joue un rôle de premier plan, véritable contrepoint des sentiments humains.
Le superbe chapitre final où Lyle va tenter de sauver le verger de la destruction par le gel est d’une beauté inoubliable :
” Il s’éveilla une heure avant l’aurore. Toutes les étoiles brillaient, toutes, et le verger était un jardin sculpté dans le cristal – des rangées entières d’arbustes, certains toujours couverts de fleurs délicates, tous dans un écrin de glace si épais qu’il leur donnait un aspect verni. Entre les arbres, les vestiges des feux de joie se consumaient, peu de flammes brillaient encore. Les pommiers chatoyaient et scintillaient comme du verre à la lueur des étoiles et des brasiers ; dans ce monde serein et tranquille, Lyle pouvait s’entendre respirer.”
Laisser un commentaire