Belle-Île-en-Mer, un nom qui fait rêver: la beauté de ses côtes inspira le peintre Claude Monet , Sarah Bernhardt fit construire sa maison à la sublime Pointe des Poulains, le charme du petit port de Sauzon opère toujours et les ajoncs embaument, au printemps, le sentier côtier …
Mais comme beaucoup de monde, j’ignorais qu’à Belle-Île à partir de 1848 furent édifiés, à côté de la Citadelle de Palais les baraquements d’une colonie pénitentiaire entourés de hauts murs surmontés de barbelés que l’on peut encore voir aujourd’hui. Les dépliants touristiques, et donc les vacanciers, ignorent que , derrière ces murs, des centaines d’enfants de 13 à 21 ans ont vécu dans des conditions épouvantables dans cette colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne. Les colons -comme on les appelait- vivaient dans des cellules grillagées de 1m50 par 2 mètres et devaient travailler dur.
Dès 1924 Louis Roubaud dénonce dans son livre “Les enfants de Caïn” les conditions de vie des colons de Belle-Île, de Mettray ou d’ailleurs :” Il faut raser les murs de toutes ces institutions, c’est la seule réponse.”
À Haute-Boulogne, le 27 août 1934, un colon est tabassé pour avoir mangé son fromage avant d’avoir bu sa soupe: c’est le début de la révolte d’une centaine d’enfants. 55 parviennent à s’évader. Une “battue” est organisée et une prime de vingt francs est donnée à toute personne qui capturera un enfant!
Jacques Prévert, alors en vacances à Belle-Île, est témoin de cette
Chasse à l’enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit j’en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Pour chasser l’enfant pas besoin de permis
Tous les braves gens s’y sont mis
Qu’est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau
Dès 1936, le poème, mis en musique par Joseph Kosma est enregistré par Marianne Oswald, puis par Les Frères Jacques ( ces deux versions sont disponibles sur YouTube) . Il contribuera à faire connaître à la France entière l’existence de ces bagnes d’enfants et une campagne de presse demandera leur fermeture. Elle permettra seulement une amélioration des conditions d’incarcération… et la colonie ne sera définitivement fermée qu’en 1977.
Trois ans après la mutinerie, Prévert écrit le scénario de L’Île des enfants perdus mais le projet de film n’aboutit pas. En 1947, Marcel Carné le reprend: La fleur de l’âge est tourné à Belle-Île-en-Mer avec une belle brochette d’acteurs : Arletty, Serge Reggiani, Martine Carol, Anouk Aimée alors âgée de 15 ans… Pour la petite histoire, c’est Jacques Prévert qui conseille à Nicole Dreyfus qui avait pris comme pseudonyme Anouk, d’y ajouter Aimée ! Vingt minutes du film sont montées. Arletty dit même dans une interview en 1985 que près de la moitié du film a été tourné… mais on n’a jamais retrouvé les rushs et il ne reste du film que quelques photos du tournage…
Chasse à l’enfant -dédié à Marianne Oswald- prendra place dans Paroles dès la fin de la guerre avec d’autres cris de colère -contre la guerre- comme Barbara, contre l’injustice –La grasse matinée. Aucun recueil de poèmes n’a connu un tel succès.
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