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KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

 Kaléidoscope 322: La longue route de Bernard Moitessier: BD de Stéphane Melchior et Younn Locard.

                                   

 

                     

    Adapter en B.D. La longue route, le récit du navigateur Bernard Moitessier semblait un défi impossible à relever. Comment évoquer par le dessin ces journées où il ne se passe rien de spectaculaire, où Bernard Moitessier dit simplement qu’il est heureux de méditer, de lire, d’observer le comportement de son bateau, de filmer son aventure ? Le scénariste et le dessinateur ont pris leur temps pour s’imprégner de cette aventure hors du commun, ils ont même navigué à bord du Joshua, ce voilier en acier de 12 mètres, baptisé ainsi en hommage à Joshua Slocum, premier circumnavigateur en solitaire.

   C’est le 22 août 1968 que Bernard Moitessier, navigateur et écrivain -il se surnomme lui-même « Le vagabond des mers » titre de son premier livre- se lance dans la toute première course autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance, le Golden Globe Challenge. C’est le magazine Sunday Times qui sponsorise le navigateur qui refuse catégoriquement d’embarquer à bord un radio émetteur-récepteur : « je ne veux pas avoir à parler à tout le monde à tout bout de champ! »; c’est avec son lance-pierre –comme quand il était gosse en Indochine– qu’il enverra films et carnets de bord sur le pont des cargos qu’il croisera sur sa longue route!

   Au cours de cette aventure Bernard Moitessier cherche à s’alléger, à trouver la sérénité et à vivre pleinement le moment présent. Il dialogue avec les éléments, avec lui-même, et même avec son bateau : « alors, Joshua, on est en train de s’envoyer Bonne-Espérance à l’arraché, hein? » Le navigateur fait même parler ce cap mythique et redoutable: « Viens par ici, mon petit, viens prendre ta fessée. Parce que tu sais, les deux déferlantes miniatures de l’autre jour, c’était juste pour rire. »

   La grande réussite de cette adaptation du livre de Moitessier par le scénariste Stéphane Melchior et le dessinateur Younn Locard  ( Gallimard bande dessinée: 29€) tient à leur profonde empathie avec un personnage profondément singulier, sincère et parfois visionnaire. Moi qui ne connais rien à la navigation, j’ai dévoré ces 340 pages avec bonheur, un mot central dans cette aventure hors normes qui est avant tout une aventure intérieure. On sait que cet esprit libre, alors qu’il avait course gagnée, décidera après sept mois de navigation,  de renoncer à la victoire: « Je continue, sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme. (…) j’avais envie d’aller là où les choses sont simples. » J’avais consacré mon 293ème kaléidoscope à Corinne Morel Darleux dont le livre Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce convoque la figure du navigateur dont le refus de parvenir est une forme de résistance.

Je vous laisse découvrir les belles pages où les dauphins sauvent la vie au navigateur, où les phoques entourent le bateau en agitant leurs palmes comme pour lui souhaiter un bon noël. Il y a des doubles pages superbes comme celle avec au premier plan les nuances de violet de l’océan à la tombée de la nuit et le noir de la houle qui cerne Joshua et la minuscule silhouette de Moitessier, ou celle où la vague déferle sur Joshua au moment où Moitessier s’interroge: « Je suis presque arrivé au tournant de ma route. Est-ce que je veux vraiment retourner là-bas ? Dans ce monde artificiel où l’homme a été transformé en machine à gagner de l’argent pour assouvir de faux besoins, de fausses joies? »

               


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