. Qui était Emily Dickinson? Plus d’un siècle après sa mort, on ne sait pas grand-chose d’elle. Née en 1830 à Amherst, petite ville du Massachusetts, elle est morte 56 ans plus tard dans sa maison natale qu’elle n’a presque jamais quittée.
Elle ne s’est pas mariée, n’a pas eu d’enfants. Toujours vêtue de blanc, elle passe les dernières années de sa vie cloîtrée dans sa chambre. Ses proches la surnomment la Reine recluse mais elle a fait le choix d’un certain retrait du monde et cette réclusion volontaire ne lui pèse pas. Elle ne cesse pourtant pas de s’intéresser aux autres et les milliers de lettres qu’elle envoie manifestent de l’empathie et de la sympathie pour la douleur des autres.
Quelques poèmes publiés de son vivant passent à peu près inaperçus. Mais Emily ne s’en soucie guère même si elle a un profond désir d’arriver à exprimer ses sentiments. Dans une lettre envoyée en 1862 au critique littéraire Thomas Higginson elle demande: « Êtes-vous trop occupé pour me dire si mes Vers sont vivants? ». On peut la rassurer, 160 ans plus tard, ils le sont plus que jamais! Et elle exerce une incroyable fascination, suscitant une incroyable floraison de chansons, films, morceaux de musique, séries télé… elle inspire des groupes de rocks. Les écrivains s’en emparent aussi à l’image de « La dame blanche » de Christian Bobin.
L’idée de consacrer un kaléidoscope à Emily Dickinson me trottait dans la tête depuis un moment: j’avais lu à sa sortie en 2020 Les villes de papier sous-titré -une vie d’Emily Dickinson-, qui avait valu à son autrice Dominique Fortier, le prix Renaudot essai. Un livre qui imagine l’existence intérieure de cette étrange personne qui réfléchit sur la liberté, sur la difficulté à être au monde, sur la solitude. Dominique Fortier cite ces mots de Leonard Cohen : « La poésie est la trace d’une vie, et non la vie même – les cendres d’une chose qui brûle bien. Il arrive que, les confondant, on s’efforce de créer les cendres plutôt que le feu. » et elle ajoute: « Emily Dickinson, j’en suis certaine, n’a jamais cherché à créer de cendres. Du feu ? Peut-être bien. Mais je crois plutôt que les flammes s’élevaient sur son passage sans qu’elle les remarque, occupée qu’elle était à arroser ses fleurs. »
Dominique Fortier nous fait ressentir avec grâce la manière d’être au monde d’Emily: « Le temps ne passe pas, il est immobile. Chaque jour dure une éternité, une vie entière dans les heures entre le lever et le coucher du soleil. Chaque nuit est une petite mort. Elle se réveille pourtant le lendemain, étonnée d’être là. Une nouvelle chance lui est donnée, mais de quoi ? »
Un an plus tard, Dominique Fortier a consacré un nouveau livre -les deux sont disponibles au Livre de Poche- à Emily Dickinson: dans Les ombres blanches, elle fait revivre celles qui lui ont redonné vie: sa sœur Lavinia à qui Emily avait demandé de brûler ses papiers à sa mort mais aussi d’autres femmes qui feront paraître les 1715 poèmes retrouvés dans un coffret.
De son vivant Emily Dickinson était plus connue comme jardinière que comme poétesse et tout au long de sa vie elle a rassemblé dans un herbier relié en cuir 424 fleurs séchées qu’elle a cueillies et classées. Cet herbier est au cœur d’un magnifique livre pour enfants qui vous enchantera comme il m’a enchanté! Herbarium sous-titré La prairie d’Emily Dickinson: les merveilleux dessins de Nathalie Novi résonnent et vibrent en harmonie avec le texte inspiré et poétique de Laura Ulonati.
Au cœur de ce livre inspiré, il y a la question que se pose la jeune Emily quand elle croise la route d’Abiah, une camarade de classe: « Comment réussir à écrire ce que l’on veut vraiment dire ? »
Emily rassemble dans son Herbarium un recueil de fleurs à l’image de ses bouquets de poèmes. Il est conservé à la Houghton Library de l’université d’Harvard. Numérisé, on peut le consulter et un QR Code à la fin de ce livre imprimé sur un très beau papier par les éditions Cambourakis permet de le feuilleter. L’éditeur a même laissé une quinzaine de pages blanches pour commencer un herbier!
Et pour terminer une petite brassée de poèmes:
Ils m’ont enfermée dans la Prose —
Comme lorsque j’étais une Petite Fille
Ils m’enfermaient dans le Placard —
Parce qu’ils me voulaient « calme » —
Calme ! S’ils avaient pu jeter un œil —
Et espionner dans mon esprit — le visiter —
Ils auraient aussi bien pu enfermer un Oiseau
Pour trahison — à la fourrière —
*
Pour faire une prairie, prenez un trèfle et une seule abeille,
Un seul trèfle, et une abeille,
Et la rêverie.
La rêverie seule suffira,
Si l’on manque d’abeilles.
*
Je n’ai pas eu le temps de détester,
La tombe était trop près, j’aurais
Raté ma haine, une vie est si courte,
L’inimitié si longue à fabriquer.
Je n’ai pas eu, non plus, le temps d’aimer,
Mais puisqu’il faut faire un effort, j’ai éprouvé
Quelques minces douleurs d’amour ; assez
Pour pouvoir dire : j’ai essayé.
*
Elle est morte – c’est ainsi qu’elle est morte;
Quand elle n’a plus eu de souffle,
A ramassé ses vêtements
Et est partie vers le soleil.
Pas de kaléidoscope la semaine prochaine et rendez-vous surprise vendredi 13 juin!
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