Cela faisait plusieurs mois que je n’avais pas abordé le sujet des inégalités dans le monde qui, non seulement ne cessent de se creuser, mais contribuent à la destruction du monde ( voir K292: Les inégalités réchauffent la planète )
L’occasion m’en est à nouveau donnée avec la pétition déjà signée par 150 000 personnes et relayée dans Le Monde de ce jeudi 20 février. Elle est intitulée: Le temps est venu de soumettre les très grandes fortunes à un taux minimal d’imposition.
Aujourd’hui en France, les milliardaires ne payent quasiment pas d’impôt sur le revenu car « ils touchent la plupart de leurs revenus à travers des holdings familiales qui font écran à l’impôt. Les dividendes qui s’y accumulent ne sont pas taxés.(…) De façon paradoxale et injustifiable dans un pays qui affiche un taux de prélèvement obligatoire de l’ordre de 50 % du produit intérieur brut (PIB), la France se révèle un paradis fiscal pour ultrariches. Si nos milliardaires partaient demain s’installer aux îles Caïmans, leur facture fiscale baisserait très peu, car elle est déjà très faible. » Et si l’idée leur prenait d’aller se réfugier aux États-Unis, ils y seraient davantage taxés.
Bonne nouvelle ! La proposition de loi (PPL) -inspirée par les travaux de l’économiste Gabriel Zucman– et portée ce jeudi par les députées Eva Sas et Clémentine Autain ( signataires de cette pétition en compagnie de Sophie Binet – secrétaire générale de la CGT, Marylise Léon -secrétaire générale de la CFDT- de la militante écologiste Camille Étienne, de Cécile Duflot -directrice générale d’OXFAM France ( bravo les femmes !) en compagnie de Raphaël Glucksman, Yannick Jadot, François Ruffin… liste complète des signataires sur Lemonde.fr.) a été adoptée jeudi par l’assemblée nationale: 116 voix pour, seulement 39 voix contre. Mais mauvaise nouvelle ! Elle a peu de chance d’être validée par le Sénat. Bercy prépare, lui, un prélèvement beaucoup plus limité. Mais c’est une victoire hautement symbolique en matière de justice fiscale. Cette PPL prévoit la création d’un impôt minimal sur le revenu des ultrariches, égal à 2% de leur patrimoine. Si votre foyer fiscal possède plus de 100 millions d’euros de patrimoine vous êtes concerné en compagnie d’environ 1800 contribuables! (moins de 0,01 % des foyers fiscaux)
Le texte de la PPL rappelle que, depuis 2017 en France, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé, atteignant 1228 milliards d’euros en 2024. La croissance du patrimoine des plus riches est quant à elle de 7 à 10 % par an, depuis dix ans, creusant fortement les inégalités.
Selon les initiatrices du projet, cet impôt plancher pourrait rapporter aux finances publiques 15 à 25 milliards d’euros par an.
Il n’est pas surprenant qu’Attac soutienne cette PPL « qui est un pas vers une plus juste imposition de la fortune. Cette proposition permettrait de parer à une anomalie : le système fiscal actuel est dégressif pour les 0,1% les plus riches. Tous prélèvements confondus la contribution des milliardaires est seulement de 26% de leurs revenus, soit deux fois moins que la moyenne de la population (52%) »
On peut rêver qu’un jour le principe d’égalité devant l’impôt inscrit dans la constitution soit enfin appliqué comme l’appelle de ses vœux la conclusion de la pétition: « nous demandons donc à tous les parlementaires de bonne volonté de voter la proposition de loi visant à instaurer, pour les très grandes fortunes, un impôt minimal égal à 2 % du patrimoine. Cette mesure est plébiscitée par une écrasante majorité de Français. Refuser le principe d’un taux minimal, c’est défendre le « droit » des milliardaires à payer zéro. »
Vous trouverez ci-dessous l’entretien très intéressant que Gabriel Zucman a donné au journal Libération. Il y fait preuve d’optimisme en affirmant que le coût politique de voter contre un impôt minimum sur les très grandes fortunes est devenu trop élevé.
Comment qualifiez-vous le vote de jeudi à l’Assemblée nationale ?
C’est une victoire historique. C’est la première fois qu’une loi de cette nature, qui vise à instaurer un taux minimum d’imposition sur les personnes ayant plus de 100 millions d’euros de patrimoine, est votée. Et elle l’est avec une très nette majorité : sur 155 députés qui se sont exprimés, 75 % ont voté pour et 25 % contre. Ce vote très clair reflète le fait que ce type de mesure est plébiscité par l’opinion publique. Toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’en France comme à l’étranger, 70 %, 80 % des citoyens sont en faveur de mesures de cette nature. Que, pour la première fois, cette volonté populaire, démocratique se traduise concrètement par un vote à l’Assemblée nationale, c’est une très, très grande avancée.
Victoire qui risque de rester symbolique, puisque le gouvernement s’oppose à cette loi, comme sans doute les sénateurs…
Je suis plus optimiste. Bien sûr, le chemin est escarpé, mais je crois que ce vote est révélateur d’une équation favorable. Jeudi soir, il y a eu une très forte démobilisation des députés du bloc central, qui ont déserté l’hémicycle, ce qui est très significatif sur un vote aussi important. Cela traduit le fait que le coût politique de voter contre un impôt minimum sur les très grandes fortunes est clairement devenu trop élevé. C’est pour moi la grande leçon politique de cette journée, et c’est aussi ce qui me rend assez optimiste pour la suite. Je pense que c’est cette réalité-là qui va aussi s’exprimer au Sénat. C’est une mesure ultra-majoritaire dans l’opinion, débattue alors que nous sommes dans un contexte budgétaire où il existe des besoins considérables pour éponger les déficits, pour financer nos services publics, peut-être pour se réarmer. Est-ce que le Sénat va prendre le risque de prendre fait et cause pour la défense des privilèges fiscaux des milliardaires ? Ce n’est pas évident. Il ne faut pas en même temps, être naïf et sous-estimer la puissance des conservatismes et des intérêts qui vont se mobiliser pour ralentir l’adoption définitive. C’est vrai. Il y a un précédent historique célèbre, celui de l’adoption de l’impôt sur le revenu. Il l’avait été par la Chambre des députés en 1909, puis le Sénat, à majorité conservatrice, avait bloqué le texte jusqu’en 1914. J’espère que cette fois, cela prendra moins de cinq ans. Dans le contexte actuel, il y a quand même des raisons de penser que ça pourrait aller nettement plus vite.
Pendant ces débats, plusieurs critiques sont revenues, le risque d’exil fiscal, la prise en compte des biens professionnels, et le risque d’anti-constitutionnalité. Que répondez-vous ?
Sur le risque d’exil fiscal, il faut regarder l’état des connaissances sur ce sujet. De nombreux travaux rigoureux ont été réalisés, que ce soit sur la Suède, la Norvège, le Danemark, la France et différents pays qui ont ou avaient un impôt sur la fortune. Toutes les études ont eu la même conclusion, c’est-à-dire qu’il n’y a pas zéro exil fiscal, mais que les flux de délocalisation fiscale en réponse à l’impôt sur la fortune sont très limités. Il faut se fonder sur les faits. D’autre part, dans le texte passé hier, il y a un dispositif plus ambitieux que l’exit tax, qui consiste à continuer à imposer les personnes qui s’installeraient à l’étranger, pendant les cinq ans après leur départ.
Quant aux biens professionnels, ils ne sont pas concernés par le texte, car on parle de gens qui ont plus de 100 millions d’euros de patrimoine, pas des boulangers ou des dirigeants de PME. On parle de gens dont la richesse, c’est de détenir des actions des grandes sociétés… Exclure ces actions de la mesure du patrimoine n’aurait aucun sens, cela reviendrait à vider le principe de l’impôt minimum de toute sa substance. Pour qu’un dispositif de cette nature fonctionne, il faut absolument que l’entièreté du patrimoine au-delà de 100 millions d’euros, soit prise en compte dans le calcul.
Et pour le risque constitutionnel ?
Cet impôt minimum maintient en quelque sorte un socle de 100 millions d’euros avant que l’imposition commence à s’appliquer. Il semble donc difficile de prétendre qu’il y a un risque de confiscation. D’autant plus que cet impôt minimum permet, en réalité, de se conformer au principe fondamental inscrit noir sur blanc dans la Constitution d’égalité devant l’impôt, puisque tout part du constat que les milliardaires paient deux fois moins de prélèvements obligatoires en proportion de leurs revenus que toutes les autres catégories sociales, ce qui est une violation manifeste du principe constitutionnel. Le taux minimum de 2 % choisi permet simplement d’effacer cette régressivité, il ne vient pas rendre le système fiscal progressif. C’est une application a minima du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt.
Le gouvernement s’est opposé à cette proposition de loi. Il a pourtant promis aux socialistes en échange de sa non-censure de transformer la contribution sur les hauts revenus en mécanisme anti-optimisation. Etes-vous associé à ces travaux ?
Je ne le suis pas. La ministre des Comptes publics a dit travailler sur un dispositif visant à instaurer un taux minimum de 0,5 % du patrimoine, à l’exclusion des biens professionnels. Ces derniers représentent 90 % du patrimoine des personnes concernées. Un dispositif de cette nature ne rapporterait donc rien et ne changerait rien à la situation actuelle. C’est une simple tartufferie fiscale. J’espère que les débats qui ont eu lieu jeudi vont permettre au gouvernement de prendre la mesure de la demande démocratique et de l’insuffisance de la proposition qu’ils ont mise sur la table.
Les ministres des finances du G20 se retrouvent au Cap le 26 février et devraient rediscuter d’une taxe minimale mondiale sur les milliardaires. Le retour de Trump au pouvoir obère-t-il toute possibilité d’avancer ?
Heureusement que non, il n’y a pas besoin de l’unanimité. Le meilleur exemple, c’est l’impôt minimum sur les grandes entreprises de 15 %. Les Etats-Unis ne l’appliquent pas, ne l’ont jamais ratifié, ne vont pas le ratifier sous Trump. Néanmoins il existe, et il est appliqué dans l’Union européenne. On pourrait faire la même chose pour les milliardaires, Trump n’est donc pas un obstacle en soi. Les discussions au G20 continuent, c’est au tour des ministres des Finances du G20 de s’approprier cette proposition nouvelle, de bien en comprendre les tenants et les aboutissants. Ce processus prendra du temps, personne ne pense que ce sera moins de deux ans.
Vous nous disiez l’an dernier que «ne pas répondre très rapidement [à cette demande populaire], c’est prendre un risque démocratique». N’est-ce pas déjà trop tard ?
Non ! Il y a un véritable risque à trop attendre, un risque de dérive inégalitaire, un risque de capture oligarchique. On est en plein dedans aux Etats-Unis depuis le retour de Trump au pouvoir et la mainmise de Musk et des autres milliardaires américains sur le gouvernement fédéral. Plus on attend pour avancer vers une reprise en main démocratique des plus grandes fortunes, plus on prend le risque d’affaiblir la démocratie.
Vous êtes parmi les premiers à avoir formulé cette idée d’imposition minimale mondiale sur les milliardaires après avoir démontré la dégressivité de l’impôt par vos travaux, quel regard vous portez-vous sur le chemin parcouru ?
Je suis satisfait des progrès réalisés depuis un an. Le travail collectif fait par les chercheurs dans plusieurs pays a été fondamental, le gouvernement brésilien a joué un rôle déterminant en mettant ces questions à l’agenda du G20 l’an dernier, et le plus important, c’est que tout cela s’inscrit dans un contexte de très forte demande démocratique d’actions sur ce sujet. Avec mes collègues de l’Observatoire européen de la fiscalité, j’espère qu’on a pu avoir une contribution un petit peu positive, en essayant d’élaborer un dispositif concret et qui fonctionne. Il ne s’agit pas de créer un nouvel impôt pour des raisons idéologiques ou symboliques. S’il était mis en œuvre demain, cet objet serait efficace, collecterait les recettes attendues, serait proportionné, limiterait les possibilités d’évasion à leur minimum. Ce serait une vraie avancée pour le bien commun.
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