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KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

 Kaléidoscope 298: Martine Franck, Miss.Tic et appel au peuple!

         

   Mon 300ème kaléidoscope s’avance à grands pas! Quand j’ai écrit le premier en mai 2018, je n’imaginais pas que, six ans et demi plus tard, il serait encore d’actualité chaque semaine dans ma vie. Vous êtes aujourd’hui 200 à le recevoir… mais j’ignore combien le lisent et comment : en entier, dès réception, de temps en temps, en diagonale, selon les sujets… Chaque semaine cependant, au gré d’une rencontre, certains me disent qu’ils tiennent à ce rendez-vous, certains le relaient à leurs amis en fonction des sujets abordés.

   L’idée de départ était de réfléchir à des sujets divers, à ce qui constitue le sel de nos vies. De faire part de mes colères et de mes indignations face à un monde qui poursuit sa course folle. De faire part de mon étonnement, de mon admiration, de ma curiosité : la découverte d’un roman, d’un recueil de poésie, d’un film, d’une exposition…De m’émerveiller de la beauté d’un arbre, d’une fleur, d’un animal… De m’attrister de la mort de poètes, d’écrivains, de penseurs, de photographes, de chanteurs… en un mot de créateurs , et de surtout donner envie de les redécouvrir.

   Quelques personnes m’ont fait l’amitié de prendre pour une semaine, les clés de ce kaléidoscope que j’ai toujours rêvé un peu participatif. Mais je me demande de plus en plus souvent si mes petites bouteilles à la mer ne sont pas un peu vaines . Combien atteignent le rivage? Est-ce bien utile, dans un monde qui croule sous les informations, les points de vue les plus divers, d’en rajouter encore? Grâce à notre fils Quentin toutes ces chroniques sont réunies sur un blogue qui n’est pas beaucoup visité.

 Mon 256ème kaléidoscope s’était appliqué à mettre en lumière Elliott Erwitt, ce facétieux photographe à qui Reporters sans frontières avait consacré sa 74ème livraison 100 photos pour la liberté de la presse. ( à retrouver sur ce blogue  )

  En cette fin d’année RSF rend hommage à une photographe discrète, qui a un peu vécu dans l’ombre de son mari Henri Cartier-Bresson. « Son regard amical », selon les mots d’Henri Doisneau, « s’attache aux enfants et aux femmes, aux vieillards et aux immigrés, aux pêcheurs et aux moines… ». Son amie depuis 1964 jusqu’à sa mort 48 ans plus tard, Ariane Mnouchkine, a intitulé son avant-propos « Martine Franck, la belle personne » et il est vrai que toutes ses photos font preuve d’une profonde humanité. J’aime beaucoup ses portraits d’une conductrice de locomotive, de Gisèle Halimi, de Simone de Beauvoir. « Je me suis toujours intéressée à la cause des femmes. J’ai beaucoup photographié les mouvements féministes, toutes les tentatives qui menaient à une libération des droits des femmes, partout dans le monde. » Confiait Martine Franck en 2012, l’année de sa disparition ( mais les artistes jamais ne disparaissent…) . Née dans une famille de la bourgeoisie, elle s’est toujours rangée du côté des oubliés et des marginaux: en 1980, son premier livre, « Le temps de vieillir », pose un regard sensible et délicat sur les personnes âgées. Mais la photographe refuse l’image choc et va collaborer longtemps avec « Les Petits Frères des Pauvres » qui luttent contre l’isolement des personnes âgées.

   À l’image des précédents, ce 77ème  album est publié au bénéfice des actions de défense du droit de l’information dans le monde et de la liberté de la presse menacée dans la plupart des pays comme le montre une inquiétante double page. Comme le dit Pierre Haski, Président de Reporters sans frontières: « nous sommes dans un monde où la moitié de la population n’a pas accès à une information libre, et l’autre est soumise aux fake news . Le journaliste, c’est la vigie dont la démocratie a besoin. » ( 160 pages 12€50 en librairie au profit de RSF)

  Il vous reste quelques jours ( jusqu’au 5 janvier) si vos pas vous conduisent dans la belle région d’Avignon, pour découvrir ou redécouvrir l’originalité de la vision de Miss.Tic. C’est dans le superbe écrin du Palais des Papes qu’on peut admirer cette impressionnante rétrospective d’une œuvre qui s’est déployée de 1985 à 2022 sur d’innombrables murs, palissades, barrières, toiles, cartons, papiers, tôles, dans les rues de Paris et de nombreuses villes d’Europe… jusqu’au tramway de Montpellier. On est impressionné par l’énergie, la vitalité, la fougue, l’inventivité de cette personne, qui n’était pourtant pas née sous une bonne étoile : Radhia Aounallah naît à Paris en 1956 d’un père travailleur immigré tunisien et d’une fille de paysans normands. Quand elle a 10 ans, sa mère, son frère et sa grand-mère meurent dans un accident de voiture dont elle survivra avec un handicap à la main droite. Son père meurt quand elle a 16 ans et l’orpheline va mener une vie errante pendant plusieurs années. Elle pose son premier pochoir sur un mur de Paris en 1985 à une époque de lectures nocturnes intenses en marge de son travail dans une imprimerie. Elle adopte le pseudonyme de Miss.Tic ( la sorcière des aventures de Picsou!).

MISS.TIC: A LA VIE A L’AMOR tel est le titre de cette rétrospective sous-titrée Art dans la ville, poétique de la révolte ( 1985-2022). Et c’est vrai que cette œuvre hors normes fait souffler un vent de révolte dans ces vieux murs chargés d’histoire: rage, désirs, humour, soif de justice placardés sur les murs des villes. Miss.Tic, comme l’écrit la commissaire de l’exposition « au-delà de l’art urbain porte un véritable projet littéraire, poétique, philosophique et sociétal. »

   Ses pochoirs sont souvent associés à des aphorismes percutants, des phrases poétiques et féministes jubilant avec les mots: « Pas d’idéaux, 

                                                                                  juste des idées hautes »

L’homme est un loup 

pour l’homme et un relou 

pour la femme 

La poésie est un luxe 

de première nécessité 

Je t’aime profond dément 

On ne radine pas avec l’amour 

Ce qui nous crève les yeux 

nous rend aveugle 

Je rêve

d’orient

sans machisme

et d’occident 

sans sexisme 

Est-ce que l’homme 

descend du songe?

Vous en redemandez? Miss.Tic a regroupé ses aphorismes dans un recueil dont j’adore le titre: « Je prête à rire mais je donne à penser ».

Et pour prolonger ( ou remplacer) le plaisir de la découverte de cette grande dame du street art les éditions Beaux Arts lui consacrent un numéro entier ( 10€ en librairie).


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