La lecture, il y a cinq ans, du livre de Corinne Morel Darleux Plutôt couler en beautéque flotter sans grâce, sous-titré Réflexions sur l’effondrement, a été pour moi une belle découverte. Ce petit ouvrage dense est à la fois un essai philosophique et littéraire qui questionne notre quotidien en convoquant aussi bien le navigateur Bernard Moitessier que l’article prémonitoire de Pasolini sur la disparition des lucioles.
Corinne Morel Darleux nous remet en mémoire la décision, le 18 mars 1969, de Bernard Moitessier -qui est sur le point de gagner la toute première course de vitesse en solitaire autour du monde, sans escale et sans assistance extérieure- de renoncer à la victoire: « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme. » Et il ajoute, dans son récit intitulé La Longue Route pour expliquer son acte: « J’avais envie d’aller là où les choses sont simples. »
Le manifeste de Corinne Morel Darleux prolonge l’acte du navigateur qui n’est pas un refus de la vie en société, mais le refus de cette société du grégarisme qui détruit la planète au lieu d’en prendre soin. Elle considère que refuser de jouer le jeu d’un monde insoutenable, le « refus de parvenir » est une forme de résistance.
En tant que fondateur d’une librairie que nous avons appelé Lucioles, je ne peux qu’être d’accord avec Corinne Morel Darleux lorsqu’elle cite le beau livre de Georges Didi-Huberman « Survivance des lucioles »: « il y a tout lieu d’être pessimiste, mais il est d’autant plus nécessaire d’ouvrir les yeux dans la nuit, de se déplacer sans relâche, de se remettre en quête des lucioles.(…) Une chose est de désigner la machine totalitaire, une autre de lui accorder si vite une victoire définitive et sans partage. »
Corinne Morel Darleux nous convie à faire des choix de vie qui respectent les limites de notre terre (voir sur ce blogue ma chronique précédente: Les inégalités réchauffent la planète.) et privilégie la coopération plutôt que la compétition. Il faut renforcer les solidarités de proximité, adopter un rapport plus humble et respectueux de la nature et considérer que les humains ne sont pas les maîtres du monde mais l’habitent au même titre que tous les êtres vivants.
Dans une collection de petits livres qui s’adressent aux 15-25 ans, (mais que ceux qui ont dépassé cette limite liront avec profit !) Corinne Morel Darleux propose un texte incisif intitulé Être heureux avec moins? N’est-ce pas une question fondamentale ?
Et l’auteur va plus loin en affirmant qu’« il s’agit de vivre avec moins… et de vivre mieux. Mieux, j’insiste, car il ne s’agit pas de se sacrifier sur l’autel de l’humanité et des générations futures : en fait, même si les réserves de lithium, d’eau ou d’énergie étaient illimitées, même si on n’était pas en train de détruire les écosystèmes, je persiste à croire qu’on aurait intérêt à s’alléger. »
Le dernier livre de Corinne Morel Darleux ( aux belles éditions Libertalia comme le premier) poursuit sa singulière réflexion, sa déambulation littéraire, politique et géographique avec un beau titre lui aussi programmatique Alors nous irons trouver la beauté ailleurs. L’auteur nous y invite à traquer la beauté dans les rêves, dans les livres -une arme ultime contre la solitude- , dans la broderie… elle nous parle des poches des jeans, de la gentillesse qui n’est pas la mièvrerie. On aurait envie de citer toutes les pages, de la suivre sur les pas de Rosa Luxembourg qui, il y a plus d’un siècle « nous autorise à éprouver des joies singulières même au milieu des décombres de la guerre et nous rappelle en murmurant qu’on peut s’émerveiller du monde tout en s’en inquiétant. »
En partenariat avec la Villa Gillet et son festival Mode d’emploi qui se déroule du 12 au 16 novembre et ATTAC Vienne Pays Rhodanien, la librairie Lucioles vous invite à rencontrer Corinne Morel Darleux ce mercredi 13 novembre à 19h. J’aurai le grand plaisir d’animer cette rencontre et vous incite, en attendant, à découvrir son blog intitulé Revoir les lucioles !
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