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KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

Kaléidoscope 291: René-Guy Cadou Poésie la vie entière.

 

                 

  En entendant cette semaine à « La grande librairie » Mazarine Pingeot lire un poème de René-Guy Cadou je me suis replongé dans Poésie la vie entière qui regroupe toute son œuvre et me suis souvenu que je lui avais consacré plusieurs kaléidoscopes.( K84 et 117 à retrouver sur ce blogue)

 René-Guy Cadou a eu le pressentiment qu’il ne ferait pas de vieux os -il est mort à 31 ans- et a souhaité vivre intensément, “à pleine poitrine”. 

   Son enfance est au cœur de sa poésie et la nourrit. Instituteur et fils d’instituteurs, “sa vie d’adulte s’est confondue avec les cours de récréations, l’odeur de craie et celle de l’encre, les cris et les jeux d’écoliers.” Comme le dit Hélène, l’amour de sa vie rencontrée à Clissons en 1943 à qui il a consacré un recueil brûlant de vie et d’amour Hélène et le règne végétal  René-Guy Cadou ” n’a jamais oublié l’enfant qu’il a été ” et sa poésie semble couler de source: un langage direct, une poésie concrète, une familiarité qui est en même temps universalité, l’attention au quotidien et aux petites choses de la vie, une parole, c’est cela la poésie de Cadou.

Celui qui entre par hasard…

Celui qui entre par hasard dans la demeure d’un poète 

Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui 

Que chaque nœud du bois renferme davantage 

De cris d’oiseaux que tout le cœur de la forêt 

Il suffit qu’une lampe pose son cou de femme 

À la tombée du soir contre un angle verni

Pour délivrer soudain mille peuples d’abeilles 

Et l’odeur de pain frais des cerisiers fleuris 

Car tel est le bonheur de cette solitude 

Qu’une caresse toute plate de la main 

Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes 

La légèreté d’un arbre dans le matin.

   Dans l’œuvre de Cadou, poésie et amour sont indissociables. Amour de la vie, amour de la nature, amour des autres, amour d’Hélène, elle aussi poète qui va lui rendre hommage tout au long de sa vie :

” Je sais aussi qu’il nous faut veiller, qu’il nous faut éviter de fermer les volets sur une vérité bientôt morte, que par-delà ce corps défait, par-delà cette apparente faillite du sang, tu es résolument du parti de la vie, que tu nous devances.”

   Quel plus bel hommage à la femme aimée que ce poème qui porte le nom du recueil où il apparaît ?

Hélène où le règne végétal

Tu es dans un jardin et tu es sur mes lèvres 

Je ne sais quel oiseau t’imitera jamais 

Ce soir je te confie mes mains pour que tu dises 

À Dieu de s’en servir pour des besognes bleues

Car tu es écoutée de l’ange tes paroles 

Ruissellent dans le vent comme un bouquet de blé 

Et les enfants du ciel revenus de l’école 

T’appréhendent avec des mines extasiées

Penche-toi à l’oreille un peu basse du trèfle 

Avertis les chevaux que la terre est sauvée 

Dis leur que tout est bon des ciguës et des ronces 

Qu’il a suffi de ton amour pour tout changer

Je te vois mon Hélène au milieu des campagnes 

Innocentant les crimes roses des vergers 

Ouvrant les hauts battants du monde afin que l’homme 

Atteigne les comptoirs lumineux du soleil

Quand tu es loin de moi tu es toujours présente 

Tu demeures dans l’air comme une odeur de pain 

Je t’attendrai cent ans mais déjà tu es mienne 

Par toutes ces prairies que tu portes en toi.

   René-Guy Cadou a 21 ans, ce 22 octobre 1941, lorsqu’il croise, à bicyclette, entre Saint-Aubin et Châteaubriant, le camion des otages que les soldats allemands vont fusiller après que le commandant de la place de Nantes ait été abattu. Parmi ces 27 hommes, il y a Guy Môquet, un jeune homme de 17 ans, résistant et militant du Parti communiste: on se souvient de sa lettre écrite le jour même de sa mort à ses parents et qui se termine par ces mots: « Certes, j’aurais voulu vivre, mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. »

Les fusillés de Châteaubriant 

Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel,
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour

Ils n’ont pas de recommandation à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.

Pour René-Guy Cadou ” La poésie n’est rien que ce grand élan 

qui nous transporte vers les choses usuelles

usuelles comme le ciel qui nous déborde.”


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