Je remercie l’écrivain et réalisateur franco-afghan Atiq Rahimi – que nous avions accueilli à la librairie Lucioles- de m’autoriser à reproduire son cri de révolte poussé la semaine dernière dans le journal «Libération» après la mise en place par les talibans d’ interdictions pour les femmes de parler en public ou de se parfumer.
« Encore des mots et des cris. Encore des armes et des larmes. Désespérément. Je me demande si j’ai encore des mots à dire sur ma terre natale, l’Afghanistan, figure incarnée de la désolation ! Et la voix pour crier, des armes à prendre, des larmes à verser…
Non. Je me sens aussi démuni que les mains vides d’un père afghan qui rentre chez lui sans pouvoir nourrir sa famille. Aussi humilié que ce jeune garçon qui ne peut avoir la barbe exigée par les talibans. Aussi invisible que cette présentatrice de la télévision afghane, qui n’a pas le droit de montrer des mots sur ses lèvres. Aussi frustré que ces couples amoureux qui ne savent plus se réciter des poèmes de l’aimance… Et aussi sourd et aveugle que les grandes puissances mondiales. Aussi ridicule que ces hommes des Nations unies, attablés avec cette armée des ténèbres, les talibans, qui leur impose même sa volonté de ne pas avoir une seule femme à la table de la négociation !
Quelle mascarade, ce monde immonde ! Ai-je besoin d’écrire encore ces mots ? Je me le demande.
J’en ai assez d’écrire et d’entendre ces mêmes phrases creuses, ces condamnations «fermes» qui n’ont jamais ébranlé un seul crétin de taliban venu pour détruire ma terre, ni ces rois du pétrole qui les financent, ni leurs marchands d’armes et de Coran qui, directement ou indirectement, les chérissent.
Aucune sanction, aucun embargo ne ramènera le sourire sur les lèvres des Afghanes, contrainte de cacher leur visage, leurs mains, leurs pieds… ni la musique dans les oreilles de ce jeune garçon privé de ses rêves.
J’en ai assez de cette mascarade, de ce cirque diplomatique où les Nations unies jouent aux cons avec les talibans. Quel est leur ignoble plan ? Discuter de la couleur des tchadors, pendant que les femmes, nos mères, nos sœurs, nos filles, se font enterrer vivantes sous leurs lois de merde? Quel spectacle pitoyable ! On en est là, à regarder des tyrans dicter leur loi pendant que le monde détourne les yeux. (…)
Allez demander à une écrivaine afghane de vous écrire quelques mots sur sa situation. Voilà la réponse que vous auriez : «Je n’écris pas pour mendier votre pitié. Je n’écris pas pour supplier vos aides, celles qui nous maintiennent juste assez vivantes pour continuer à souffrir. Non, j’écris parce que je n’ai que ça. Les mots comme des couteaux, aiguisés par la rage, trempés dans la haine de voir ce monde pourri laisser l’Afghanistan se faire massacrer ! Je crache sur vos résolutions, sur vos promesses vides. On n’a plus besoin de vos mots à vous. On a besoin de justice, de voir ces monstres brûler sous la lumière de la liberté qu’ils ont tenté d’étouffer. Et tant que je respire, je leur ferai bouffer mes mots, mes cris, et mes malédictions, jusqu’à ce que ce silence complice soit brisé à jamais.»
Et un jeune afghan vous dirait : «Et ces dirigeants, ces foutus leaders, où sont-ils ? Aveugles, sourds, muets, tout ce qu’ils savent faire, c’est jouer aux diplomates pendant que notre peuple crève, notre culture est violée, nos femmes sont brisées. Une révolution ?! Quelle blague ! Où sont nos armes ? Où sont nos hommes courageux prêts à détruire cette armée obscurantiste ?»
Oui, encore des mots, mais cette fois, en gravant au fer rouge les dernières ignominies législatives des talibans. Des lois, vous dites ? Plutôt des chaînes forgées dans la haine, conçues pour écraser, humilier, annihiler toute lueur d’espoir qui subsiste encore dans ce pays défiguré par la barbarie. Vous voulez savoir ce qu’ils imposent maintenant ? Asseyez-vous, parce que ça va vous coller la nausée.
La dernière «brillante» idée de ces tyrans : obliger les femmes à se couvrir de la tête aux pieds, ne laissant rien, absolument rien de visible. Pas même un regard, pas même un souffle d’humanité. Et ne croyez pas que c’est tout. Ils interdisent maintenant aux femmes de se déplacer seules. Oui, vous avez bien entendu. Une femme afghane ne peut plus prendre un foutu bus, un taxi, ou même marcher dans la rue sans être accompagnée par un homme de sa famille. Sinon ? C’est la violence, l’humiliation publique, et peut-être pire.
Et parlons de cette autre loi sordide : l’interdiction pour les femmes d’interagir avec des non-musulmans. Sérieusement ? Comme si leur obsession de la pureté religieuse pouvait effacer l’humanité de chaque femme en Afghanistan. Ils ont même osé interdire aux femmes d’élever la voix en public. Vous imaginez ? Une femme ne peut plus parler, chanter, rire. C’est le silence ou la mort.
Je n’écris pas pour vous informer, j’écris pour me révolter. J’écris parce que ces lois sont une déclaration de guerre contre la dignité humaine. Tant que ces lois existent, tant que ce régime subsiste, il n’y aura pas de paix, il n’y aura pas de repos. Seulement la rage, la rage et encore la rage, jusqu’à ce que chaque loi abjecte soit effacée, jusqu’à ce que chaque femme afghane puisse à nouveau respirer librement, comme Zakia Khudadadi, qui vient de remporter la médaille de bronze en taekwondo lors des Jeux paralympiques de Paris. Elle a fait ainsi l’histoire en devenant la première femme afghane à participer aux Jeux paralympiques depuis plus de dix-sept ans. Son parcours est particulièrement remarquable, compte tenu des circonstances difficiles auxquelles elle a été confrontée en tant que femme et en tant que personne handicapée vivant sous le régime des Talibans. Son histoire est un témoignage puissant de résilience et de détermination, et elle représente un symbole d’espoir pour beaucoup d’Afghans, en particulier pour les femmes et les jeunes filles qui continuent de lutter pour leurs droits et leurs libertés dans un contexte de répression extrême.
Et pendant ce temps, la communauté internationale continue de mâchonner ses condamnations stériles, assise bien confortablement autour de tables où ces talibans dictent leur «vision» du monde. La réalité, c’est que ces lois ne sont rien de moins que la construction d’une prison à ciel ouvert pour les femmes afghanes. Une prison où chaque décret est une brique supplémentaire dans le mur de leur oppression. »
Pas de kaléidoscope la semaine prochaine.
Laisser un commentaire