Je me souviens que sur la pelouse du joli jardin de Jacques Prévert, à côté de la longère que le poète avait acquise à Omonville-la-Petite dans le Cotentin un petit écriteau reprenait cette sentence qu’on peut retrouver dans le recueil « Fatras » qui fourmille d’aphorismes et de collages:
Mangez sur l’herbe
Dépêchez-vous
Un jour ou l’autre
L’herbe mangera sur vous.
Nous sommes un peu loin des haïku de mon dernier kaléidoscope même si la mort est souvent en lien avec la nature comme dans ces haïku que Kobayashi Issa fit graver sur sa tombe en 1827:
Ce sera donc cela
ma dernière demeure ?
cinq pieds de neige
Quand je serai mort
sois gardienne de ma tombe
sauterelle !
Sur la tombe de Jacques Prévert, au petit cimetière d’Omonville-la-petite ( à ne pas confondre avec Omonville-la-Rogue )-à deux pas de la maison de Jacques Prévert que l’on visite avec bonheur et le sourire aux lèvres- pas de haïku – ni de croix, pour cet anticlérical- mais de petits galets dessinés par des enfants, en guise d’ex-voto.
Les déjeuners sur l’herbe ne sont pas encore de saison… sauf pour les chevaux, qui font partie du bestiaire de Jacques Prévert, en compagnie des oiseaux, des baleines, des dromadaires mécontents, des escargots, et bien entendu des ratons-laveurs.
Et je ne résiste pas au plaisir de reproduire le deuxième poème du recueil « Paroles », beaucoup moins connu que le troisième intitulé « La pêche à la baleine ».
HISTOIRE DU CHEVAL
Braves gens écoutez ma complainte
écoutez l’histoire de ma vie
c’est un orphelin qui vous parle
qui vous raconte ses petits ennuis
hue donc…
Un jour un général
ou bien c’était une nuit
un général eut donc
deux chevaux tués sous lui
ces deux chevaux c’étaient
hue donc…
que la vie est amère
c’étaient mon pauvre père
et puis ma pauvre mère
qui s’étaient cachés sous le lit
sous le lit du général qui
qui s’était caché à l’arrière
dans une petite ville du Midi.
Le général parlait
parlait tout seul la nuit
parlait en général de ses petits ennuis
et c’est comme ça que mon père
et c’est comme ça que ma mère
hue donc…
une nuit sont morts d’ennui.
Pour moi la vie de famille était déjà finie
sortant de la table de nuit
au grand galop je m’enfuis
je m’enfuis vers la grande ville
où tout brille et tout luit
en moto j’arrive à Sabi en Paro
excusez-moi je parle cheval
un matin j’arrive à Paris en sabots
je demande à voir le lion
le roi des animaux
je reçois un coup de brancard
sur le coin du naseau
car il y avait la guerre
la guerre qui continuait
on me colle des œillères
me v’là mobilisé
et comme il y avait la guerre
la guerre qui continuait
la vie devenait chère
les vivres diminuaient
et plus ils diminuaient
plus les gens me regardaient
avec un drôle de regard
et les dents qui claquaient
ils m’appelaient beefsteak
je croyais que c’était de l’anglais
hue donc…
tous ceux qu’étaient vivants
et qui me caressaient
attendaient que j’ sois mort
pour pouvoir me bouffer.
Une nuit dans l’écurie
une nuit où je dormais
j’entends un drôle de bruit
une voix que je connais
c’était le vieux général
le vieux général qui revenait
qui revenait comme un revenant
avec un vieux commandant
et ils croyaient que je dormais
et ils parlaient très doucement.
Assez assez de riz à l’eau
nous voulons manger de l’animau
y a qu’à lui mettre dans son avoine
des aiguilles de phono.
Alors mon sang ne fit qu’un tour
comme un tour de chevaux de bois
et sortant de l’écurie
je m’enfuis dans les bois.
Maintenant la guerre est finie
et le vieux général est mort
est mort dans son lit
mort de sa belle mort
mais moi je suis vivant et c’est le principal
bonsoir
bonne nuit
bon appétit mon général.
Et pour terminer deux aphorismes de Prévert :
-Le propre de l’écrivain, c’est de jouer avec les mots, même si le
sale du banquier est de jongler avec des chiffres.
– J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il faisait en partant.
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