« Je me lèverai demain matin
Plus tôt qu’aujourd’hui
Le soleil demain matin
Sera plus chaud qu’aujourd’hui
Je serai plus fort demain matin
Plus fort qu’aujourd’hui
Je serai gai demain matin
Plus gai qu’aujourd’hui
J’aurai demain matin
Plus d’amis qu’aujourd’hui
Et bien que demain matin
La mort soit plus proche qu’aujourd’hui
Je serai demain matin
Plus vivant plus vivant qu’aujourd’hui. »
Ce poème a été écrit par Robert Desnos le 27 mars 1936 et on en a ignoré l’existence pendant plus de 80 ans!
C’est en effet en 2020 que Jacques Letertre va découvrir, dans une vente aux enchères 123 poèmes manuscrits de Robert Desnos, dont 86 inédits.
« Durant toute cette année [1936] et jusqu’au printemps 1937, je m’étais contraint à écrire un poème chaque soir avant de m’endormir. Avec ou sans sujet, fatigué ou non, j’observais fidèlement cette discipline… »
Ces « poèmes forcés », comme les appelait Desnos ont été publiés il y a quelques mois aux éditions Seghers sous le titre Poèmes de minuit ( Inédits 1936-1940 ) et nous donnent l’occasion de remettre en lumière une œuvre un peu oubliée aujourd’hui et réduite à quelques comptines qui ont fait les beaux jours des poésies apprises à l’école primaire: ses trente poèmes réunis dans le recueil Chantefables sont remis à l’éditeur Michel Gründ en 1944 par Robert Desnos quelques mois avant son arrestation par la Gestapo. Il devait mourir d’épuisement, le 8 juin 1945 dans le camp de concentration de Theresienstadt que venaient de quitter les nazis.
Robert Desnos est né en 1900 et, en 45 ans de vie, a été tour à tour ou simultanément surréaliste, journaliste, homme de radio et de cinéma, poète, passionné de chanson et de musique ( classique, populaire, jazz…), amateur de peinture et peintre lui-même… Son œuvre révèle une universelle curiosité toujours en éveil, un amour de la vie, un amour des mots, une inventivité et une verve incomparables.
Son apport au mouvement surréaliste dès 1922 est essentiel et André Breton a dit de Desnos qu’il « parle surréaliste à volonté » comme en témoignent ces séances hallucinantes de sommeil éveillé au cours desquelles Robert Desnos s’immerge avec une déconcertante facilité dans des états de transe hypnotique -on parlerait aujourd’hui de performances-. Son imagination fertile donne lieu à des textes écrits ou déclamés et des dessins littéralement surréalistes. Le recueil « Sommeils » publié l’an dernier dans la collection Poésie/Gallimard témoigne de ces troublantes séances qui nous plongent dans le monde onirique de Desnos.
Cet amoureux de la liberté n’a cessé de lutter contre les injustices, soutenant les républicains espagnols et le Front Populaire en France. Cet homme fraternel et engagé, ce résistant qui haïssait la guerre a payé de sa vie ses engagements.
Je ne résiste pas au plaisir nostalgique de terminer ce kaléidoscope par ces deux pépites, ces deux bijoux (!) qui prennent place dans le bestiaire de ce poète merveilleux dont Paul Éluard disait « Au long de ses poèmes l’idée de liberté court comme un feu terrible. »
Le Pélican
Le Capitaine Jonathan
Étant âgé de 18 ans,
Capture un jour un pélican
Dans une île d’Extrême-Orient.
Le pélican de Jonathan,
Au matin, pond un œuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.
Et ce deuxième pélican
pond à son tour, un œuf tout blanc
D’où sort, inévitablement
Un autre, qui en fait autant.
Cela peut durer pendant très longtemps
Si l’on ne fait pas d’omelette avant.
Les hiboux
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d’or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous.
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