Contrairement à la légende, la chanson écrite par Jacques Prévert en 1946 sur une musique de Joseph Kosma n’a pas été immédiatement appréciée. Cora Vaucaire -bien oubliée aujourd’hui- a été la première à la chanter même si Yves Montand a tenté de faire croire le contraire.
Aujourd’hui on dénombre plus de 600 interprétations de cette chanson parmi lesquelles celles, -excusez du peu!- d’ Eric Clapton, Frank Sinatra, Nat King Cole et Bob Dylan.
La chanson « Les feuilles mortes » est interprétée en finnois dans le dernier film éponyme d’Aki Kaurismäki, beau film sur la rencontre de deux éclopés de la vie, et les vers de Prévert y résonnent avec intensité:
Mais la vie sépare ceux qui s’aiment
Tout doucement sans faire de bruit…
Mais j’espère que vous ne m’en voudrez pas si mon kaléidoscope se révèle plus « terre à terre » au sens propre et au sens figuré.
Les feuilles mortes ne se ramassent ni à la pelle, ni au râteau, et comme le dit le paysagiste et pépiniériste Eric Lenoir, auteur de l’indispensable Petit traité du jardin punk, dans l’imaginaire collectif, « le seul jardin possible est un lieu aseptisé, nettoyé, artificialisé, où rien ne doit dépasser. On a négligé toutes les autres options, donc forcément ces feuilles apparaissent comme des déchets. Sauf que ça n’existe pas les déchets dans la nature. »
Une des règles d’or du jardinier est d’éliminer le moins possible de choses du jardin. Le pire étant, bien entendu, de brûler subrepticement -non seulement parce que c’est formellement interdit et passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 750 €- mais surtout parce que la fumée dégagée peut être très toxique comme le rappellent Anaïs Moran et Julie Renson Miquel dans un excellent article de Libération, intitulé Les feuilles mortes, assurance vie pour la nature qui m’a donné l’idée de ce kaléidoscope: « Calciner ses «débris» feuillus n’est ni bon pour vos poumons et votre cœur, ni pour ceux de vos voisins. Et puis, ces flammes ont des conséquences très néfastes sur l’environnement. Selon l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie(Ademe), brûler 50 kg de végétaux au grand air émet autant de particules fines qu’une voiture diesel récente qui parcourt 13 000 km. D’un point de vue légal, sanitaire et climatique, faire flamber le feuillage est donc à proscrire. »
La meilleure solution est de les laisser sur place, à l’emplacement où elles ont atterri: « de la végétation qui meurt, et qui se désagrège dans le sol, c’est simplement le cycle complet de la nature. Et cette nature se débrouille très bien toute seule aux commandes. » poursuit Eric Lenoir. Et la scientifique spécialiste des sols Sandra Barantal ajoute que ces feuilles « jouent un rôle d’abri précieux pour de petits animaux, qui sont à la recherche d’obscurité, d’humidité ou encore d’une cachette pour fuir leurs prédateurs. Les feuilles d’automne tombées des arbres fournissent ainsi le gîte et le couvert à une extraordinaire biodiversité. (…) Toutes sortes d’organismes dits décomposeurs interviennent dans le processus d’enrichissement des sols. Nous avons les champignons et les bactéries par exemple (…) Les cloportes,les millepattes ou les vers de terre récupèrent même les feuilles en surface pour les amener directement dans les profondeurs. Ils participent à l’enfouissement et au brassage de cette matière »
Mais me direz-vous, on est parfois bien obligé de débarrasser les allées ou les canalisations de ces fichues feuilles. Certes. Mais qui vous empêche de les mettre dans le bac à compost, ou de vous en servir pour pailler le potager? En recouvrant le sol de matière organique, on évite l’évaporation de l’eau, le développement des mauvaises herbes et cette couche de feuilles fait office de «tampon thermique» en cas de coup de chaud ou de coup de froid.
Si vous voulez aller plus loin dans la connaissance du sol -un monde microbien pesant cinq à dix tonnes à l’hectare- qui a tendance à s’appauvrir sous les coups de boutoir d’une agriculture intensive manquant de bon sens, il faut lire le livre de Marc-André Selosse publié chez Actes Sud L’origine du monde. Une histoire naturelle du sol à l’attention de ceux qui le piétinent.
Laisser un commentaire