« On estime entre 50 000 et 75 000 par an, durant les années 1990, 2000 et 2010 aux États-Unis, les morts par surdose d’opioïdes de personnes devenues dépendantes après des prescriptions régulières » c’est ce qu’affirme le journaliste Patrick Radden Keefe dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Politis au moment de la parution en France d’un livre de près de 700 pages intitulé « L’Empire de la douleur. L’histoire cachée de la dynastie Sackler ».
C’est en 1995 que la firme Purdue, qui appartient à la famille Sackler commence à commercialiser l’Oxycontin aux USA. Ce médicament présenté comme un véritable miracle contre la douleur est prescrit à des patients souffrant de douleurs chroniques, tendinites, maux de dos…
Purdue envoie des bataillons de commerciaux pour vanter l’efficacité de son médicament. Succès fulgurant: entre 2006 et 2014, les pharmaciens américains ont délivré cent milliards de comprimés. Rien qu’en 2010, les Sackler ont empoché 3 milliards de dollars!
Mais le miracle tourne au cauchemar: l’ Oxycontin est un opiacé ultra addictif -ce que le laboratoire a soigneusement caché- et a provoqué la mort de 500 000 personnes aux USA! Et on considère qu’aujourd’hui cinq millions d’Américains sont dépendants aux opiacés.
La célèbre photographe américaine Nan Goldin est devenu accro à l’Oxycontin après une banale opération du poignet. Elle a décidé d’utiliser sa notoriété et de militer pour que la responsabilité des Sackler soit reconnue et punie.
Elle a surtout dénoncé l’activité de mécénat de la dynastie dans le monde entier. Nan Goldin a réussi, malgré les pressions, à fustiger leur financement des plus prestigieux musées du monde comme le MET à New York, la Tate Modern, le British Museum… et le Louvre. Mortimer Sackler va en financer, dans les années 90, la rénovation d’une aile qui devra portera leur nom.
En juillet 2019, Nan Goldin organise un happening devant la pyramide du Louvre et…comme par enchantement le nom des Sackler disparaît des murs du musée et de son site Internet.
« Toute la beauté et le sang versé », le film de Laura Poitras (Lion d’or à Venise en 2022) qui sort en ce moment sur les écrans, parle de ces combats de la photographe.
Comment un tel désastre sanitaire a-t-il pu se produire ?
Pourquoi a-t-il fallu attendre la mort de centaines de milliers de personnes ?
À chaque fois -Philip Morris, Monsanto, Servier …-, il a fallu que des individus se dressent contre ces marchands de mort ou ces destructeurs de la planète seulement préoccupés par l’accroissement vertigineux de leur richesse et soucieux de leur gloire.
À chaque fois, les états ont failli et fermé les yeux devant les puissances d’argent .
À chaque fois des sentinelles comme Irène Frachon ou l’agriculteur Paul François ont été menacés, harcelés.
Le journaliste Radden Keefe , qui témoigne dans le film, recevait toutes les semaines des lettres d’avocats et un détective privé était posté en permanence devant son domicile. Les Sackler ont également tenté d’intimider son éditeur pour que le livre ne soit pas publié.
« Tous ces gens dont nous parlons, -affirme l’auteur de L’Empire de la douleur– les Sackler , mais tant d’autres aussi, ne se préoccupent jamais des effets réels de leurs activités. La crise des opioïdes illustre finalement la dérive du capitalisme actuel. »
Laisser un commentaire