Baise m’encor, rebaise-moi et baise ;
Donne m’en un de tes plus savoureux,
Donne m’en un de tes plus amoureux :
Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.
Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereux.
Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux,
Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :
Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement
Si hors de moi ne fais quelque saillie.
( Petite précision: la charge érotique de ce poème est plus forte aujourd’hui qu’au XVI° siècle: “Baise m’encor” signifie “Embrasse-moi encore” et le dernier vers pourrait être traduit ainsi: “Si je ne sors pas de moi-même” ( pour vivre en toi comme toi tu vis en moi, thème platonicien de l’échange des âmes et des cœurs.)
Ce sonnet a été écrit il y a plus de 450 ans par une certaine Louise Labé, dont on ne connaît qu’un seul portrait, et fort peu de choses d’une existence carrément remise en cause par certains historiens. Cette lyonnaise serait l’auteur d’un seul livre publié en 1555 “Euvre de Louïze Labé lionnoize”. 180 pages comprenant un “Débat de Folie et d’Amour” en prose suivi de trois élégies et de vingt-quatre sonnets qui ont assuré à celle qu’on a surnommé “La Belle Cordière” -elle était la fille d’un riche marchand cordier-, une gloire universelle.
Louise Labé revendique son statut de femme poétesse, s’opposant à l’image de la femme reléguée au rôle de muse ou de femme soumise. Dans ses sonnets la femme est davantage un sujet désirant qu’un objet de désir. C’est la femme qui assume les tourments de la passion amoureuse:
” je vis, je meurs: je me brûle et me noie.
J’ai chaud estrême en endurant froidure:
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.”
Cette liberté d’esprit sera évidemment critiquée, assimilée à une liberté de mœurs, et on désignera Louise comme une courtisane. Elle sera cependant célébrée par les poètes de la Pléiade.
Il faut croire que la puissance du désir amoureux d’une femme libre effraye ainsi que le désir de création littéraire: “le plus grand plaisir qu’il soit après amour, c’est d’en parler” écrit Louise Labé… et cette œuvre brève et fulgurante, figure majeure de la poésie de la Renaissance sombrera dans l’oubli jusqu’au XIXe siècle.
Louise Labé est aujourd’hui reconnue, bien davantage que Maurice Scève, membre principal de cette “École lyonnaise” qui a fait connaître l’œuvre de La Belle Cordière; ses vers sont étudiés à l’école, plusieurs biographies lui ont été consacrées qui dénoncent la misogynie calomnieuse dont elle a été l’objet. Suprême consécration, ses “œuvres complètes” ont eu l’an dernier l’honneur d’entrer dans La Pléiade.
Au 28 de la rue Paufique à Lyon une plaque indique que “La poétesse Louise Labé -La Belle Cordière- vécut en ces lieux au XVI° siècle”
Brèves de kaléidoscope qui n’ont rien à voir… quoique !
– En moyenne en France, les femmes gagnent 15,8% de moins que les hommes ( contre 13% en Europe). Le site féministe “Les Glorieuses” annonce que depuis ce vendredi 4 novembre les femmes travaillent gratuitement en France.
– Notre amie Brigitte Giraud -écrivaine lyonnaise comme Louise Labé!- vient de recevoir le Prix Goncourt pour son dixième livre “Vivre vite”, une enquête intime pour comprendre l’incompréhensible de la mort de son compagnon . Une consécration qui va faire découvrir toute une œuvre, un univers disponible en poche. Écoutez Brigitte Giraud dans ce bel entretien sur France Culture:
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/bienvenue-au-book-club/brigitte-giraud-prix-goncourt-2022-6751379
Mon prochain kaléidoscope sera consacré aux palindromes. “Ici” et “été” font partie des plus courts. À vous de me proposer ceux qui vous plaisent le plus!
Laisser un commentaire