Il y a un an, je consacrais mon 153ème kaléidoscope à une femme photographe longtemps oubliée à qui les “Rencontres photographiques d’Arles” avaient rendu hommage en 2011. Jusqu’à la fin de l’année, l’occasion nous est donnée de revoir quelques-unes des photos de Gerda Taro dans une exposition au musée de la Libération à Paris: “Femmes photographes de guerre”. Elle met en évidence “l’implication, souvent oubliée, des femmes dans les conflits, qu’elles soient combattantes, victimes ou témoins.” On découvrira le regard de huit femmes, parmi lesquelles Lee Miller et Christine Spengler, sur 75 ans de conflits internationaux. L’exposition interroge la spécificité du regard féminin sur la guerre:
https://www.museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr/exhibitions/femmes-photographes-de-guerre
J’avais découvert en 2006 -grâce au très beau livre de François Maspéro “L’ombre d’une photographe, Gerda Taro”– une jeune femme intrépide, libre, engagée, l’une des premières photographes de guerre.
Elle est née à Stuttgart en 1910 dans une modeste famille de commerçants juifs. En 1933, elle est jetée en prison pour avoir distribué des tracts révolutionnaires et décide de fuir l’Allemagne hitlérienne. À Paris elle rencontre un obscur photographe d’origine hongroise dont elle tombe amoureuse. C’est elle qui décide d’inventer pour lui le personnage de photographe américain et de lui trouver le pseudonyme de Robert Capa. Ça “claque” tout de même mieux qu’Endre Ernö Friedmann!
C’est avec lui qu’elle part en 1936 comme reporter de guerre aux côtés des Républicains en lutte contre les troupes du général factieux Franco. Elle veut remuer les consciences grâce à ses photos prises au plus près du front. “Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près” a dit Robert Capa. Elle force l’admiration des soldats républicains qui l’appellent “la pequeña rubia” (la petite blonde). “Elle avait le sourire d’une jeunesse immortelle” écrit le poète Rafael Alberti. Gerda Taro ambitionne non seulement de montrer les souffrances de ceux qui luttent pour la liberté mais celles des civils, hommes, femmes et enfants, victimes des bombardements avec ses photos prises à la morgue de Valencia.
C’est après avoir couvert les violents combats de Brunete en juillet 1937 que Gerda Taro trouve la mort à 27 ans. Elle est la première femme photographe de presse tuée dans l’exercice de ses fonctions. Son enterrement à Paris au cimetière du Père Lachaise réunit des milliers de personnes et se transforme en manifestation antifasciste au moment où le gouvernement français décide de ne rien faire pour aider les Républicains espagnols. L’éloge funèbre est prononcé par Pablo Neruda et Louis Aragon et la tombe sera dessinée par Giacometti: il sculpte un petit faucon de pierre surplombant l’épitaphe:”Gerda Taro -reporter photographe à Ce soir- morte le 25 juillet 1937 sur le front de Brunete, Espagne, dans l’exercice de sa profession.” La tombe sera profanée par les nazis en 1942. Ce n’est que cette année 2022, 80 ans plus tard, que l’épitaphe sera rétablie.
Mais alors que la photo de Robert Capa intitulée “Mort d’un soldat républicain” devient le symbole de la guerre d’Espagne, celles de sa compagne tombent dans l’oubli…pendant plus de 50 ans. C’est en 2007 qu’on retrouve au Mexique, dans des circonstances rocambolesques, 4500 négatifs, miraculeusement en bon état, pris pendant la guerre d’Espagne par Robert Capa, David Seymour ( cofondateur avec Capa de l’agence Magnum) et Gerda Taro. On découvre alors dans cette “valise mexicaine” que certaines photos attribuées à Capa ont été prises par Taro.
Si vous voulez en savoir davantage sur “la fille au Leica” , comme on l’appelait parfois, ne manquez pas l’émouvant hommage que lui rend Camille Ménager dans un documentaire d’une heure, récit intimiste qui nous embarque “Sur les traces de Gerda Taro”.
Et pour découvrir un tout autre destin de femme photographe, qui aurait pu, elle aussi, rester à jamais ignorée, mon 43ème kaléidoscope sur Vivian Maier est sur ce blogue.
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