Il y a un mois j’avais confié les clés de mon kaléidoscope (qui fête ses quatre ans cette semaine!) à notre ami Jean-Yves Loude, impressionné par le film documentaire de Thierry Michel “L’Empire du silence” sur le sort des enfants congolais qui descendent dans les mines, au péril de leur vie, pour extraire les métaux rares de nos portables. K183 à retrouver sur ce blogue.
Jean-Yves attire aujourd’hui notre attention sur un film du grand réalisateur portugais Pedro Costa. Son enthousiasme est tellement communicatif que je lui ai demandé de présenter le film à Vienne ( dans le cycle de huit films en V.O intitulé “Autour du Monde” proposés par Cinéclap ).
Je ne doute pas que sa critique ci-dessous vous donnera envie de découvrir un univers hors-normes.
“Voici, selon la formule incitative des présentateurs de films cultes à la télé, trois bonnes raisons de voir ou revoir Vitalina Varela, le film du réalisateur portugais Pedro Costa qui sera diffusé le lundi 9 mai à l’Amphi de Vienne à 19h30 .
La première raison est sans appel : si vous ratez cette occasion, elle risque de ne jamais se représenter. Parce que, seconde bonne raison, “Vitalina Varela” est le film exigeant d’un cinéaste qui ne fait aucune concession au système de consommation et de divertissement, qui lui tourne carrément le dos pour être en mesure de créer des œuvres cinématographiques vouées à l’intelligence et à la sensibilité de spectateurs. Ce qui met ses films en grand danger d’ostracisme. En conséquence (troisième bonne raison), vous pourrez aimer ou ne pas aimer “Vitalina Varela”, mais vous ne pourrez pas dire que vous avez déjà vu un film pareil.
L’histoire est simple : une femme d’âge mûr, noire, sculpturale, débarque de nuit à Lisbonne, en provenance du Cap-Vert, trois jours après l’enterrement de son mari qui l’a laissée 25 ans sans nouvelles de la vie meilleure qu’il lui promettait jadis. Elle arrive trop tard. Alors, pour comprendre les raisons de cet abandon, Vitalina Varela s’enfonce dans un quartier de damnés de la terre, à la périphérie de Lisbonne, et se glisse dans le taudis qu’occupait son homme. Eurydice descend en Enfer pour arracher à son invisible Orphée, maître enchanteur décevant, les motifs de sa trahison. Dans cet obscur réduit, à la lumière de flammes indirectes, s’instaure une communication quasi spirite entre la femme trompée et le défunt dont elle retient l’âme coupable. Le décor est vaudouisant.
Dans les couloirs de ce dédale, errent des mâles solitaires et potentiellement prédateurs, et un curé qui pleure sa foi perdue en reprochant à Dieu d’avoir égaré Sa lucidité. Vitalina Varela n’est pas un film naturaliste. Vous ne verrez rien de la réalité de Cova da Moura, ce quartier traditionnel de l’émigration capverdienne. Pedro Costa ne prononce pas de réquisitoire contre les prolongements tragiques de la colonisation. Mais libre à vous de les ressentir. Pedro Costa préfère célébrer durant deux heures, longues et fascinantes, la splendeur d’une Femme dont le visage lumineux repousse les ténèbres que savent si bien multiplier les Hommes. Vitalina Varela a la stature d’une déesse et le film aurait la forme d’une allégorie s’il ne racontait pas, en fait, la véritable histoire de Vitalina Varela, inspiratrice devenue actrice, couronnée à Locarno par le Prix d’interprétation féminine. L’art de Pedro Costa atteint ici le Sublime, terme philosophique qui aide à définir la beauté de ce qui dépasse et écrase le destin de l’Humain, réduit à son immense fragilité.
Le magazine “Beaux Arts” de janvier dernier ne s’y est pas trompé : il a considéré Vitalina Varela comme un chef d’œuvre d’art plastique. Et le Festival de Locarno, en 2019, lui a décerné le Léopard d’Or.”
Rendez-vous est donné ce lundi 9 mai aux heureux habitants de Vienne et des alentours pour une soirée qui ne devrait laisser personne indifférent.
Le prochain livre de Jean-Yves Loude ( avec des photos de Viviane Lièvre), après tous ceux qu’il a consacrés au Portugal, au Cap-Vert, au Brésil et à d’autres pays lusophones ne devrait pas passer inaperçu: “Le chemin des vierges enceintes” ( en librairie Le 12 septembre) est une véritable enquête (en 14 stations du sud de la France au Portugal) qui nous fera découvrir les raisons de la mise à l’écart des représentations artistiques de la vierge enceinte, fréquentes jusqu’à la fin du XVIème siècle et décrétées par l’église “irregardables”.
Rendez-vous à la librairie Lucioles d’ici la fin de l’année.
Laisser un commentaire