“Il est parti, comme il a vécu, avec élégance, c’était la Pleine Lune et les cloches de Pâques.” C’est ainsi que Marika, sa compagne, nous a annoncé le départ de Jacques A. Bertrand qui se battait -sur plusieurs fronts- contre la maladie. Son dernier livre, au titre prémonitoire “Dernier cri avec post-scriptum” (Mialet-Barrault éditeurs de toujours) se terminait par ces mots: “Ce “Dernier cri” ayant débuté par des soupirs, il devait finir sur un silence. Mais, s’il existe bien des catégories de soupirs (quarts de soupir, demi-soupirs, etc.) en faisant plus ou moins fonction, il n’existe pas de note pour le silence. Beethoven ne semble pas en avoir souffert. Cependant, s’il existe une oreille absolue, sera-t-elle le pendant d’une surdité absolue?
Il semblerait que la quête du silence absolu relève de l’utopie. Les spécialistes capteraient une espèce d’écho fossile de l’explosion initiale : l’univers aurait donc un bruit de fond. C’est probablement la raison pour laquelle l’humanité se contente, depuis des éternités, de soupirer.”
Dans “Le sage a dit”, plus de 200 paroles de sage glanées aux quatre coins du monde (et parfois au coin de la rue!). Jacques présentait ainsi sa “Sagesse de l’éloge funèbre”:
“Quelqu’un fait remarquer que les chroniques nécrologiques des journaux sont résolument hagiographiques et déplore qu’il soit interdit de critiquer les morts… Le Sage vient justement de composer là-dessus un petit poème.
Le Sage a dit :
Les éloges funèbres sont agaçants
(Le mort nous devait cinq cents francs)
Mais il est juste cependant
De passer sur leurs torts
Car trop souvent
Nous nous montrons injuste avec les morts
De leur vivant.
En voici deux autres:Le Sage a dit:
Laissez tomber votre tartine avant de la beurrer.
Mais ce qui résume peut-être le mieux la personnalité et l’œuvre de Jacques A. Bertrand, c’est cette citation de Lao-tseu:”La gravité est la racine de la légèreté.”
Toute l’œuvre de Jacques est placée sous le signe de cette légèreté et ses mots pèsent leur poids de légèreté. Même dans l’un de ses derniers livres “Comment j’ai mangé mon estomac” qui parle de son cancer il y a, à chaque page, des bonheurs d’écriture, des phrases ciselées, des aphorismes d’une évidente concision : “Les étoiles nous aident seulement à voir la nuit”, “dans sa grande mansuétude, la vie vous fait, dans les pires situations, don de la fatigue. Puissant sédatif.”, “Nous vivons la plupart du temps sans y penser.”, “Le pigeon a une si petite cervelle qu’il est forcé de la balancer en marchant, comme s’il picorait le vide en permanence.”
Il y a, dans les livres de Jacques A. Bertrand une sorte de misanthropie souriante dont témoignent quelques titres:
“J’aime pas les autres.”
“Les autres, c’est rien que des sales types.”
“Les autres, c’est toujours rien que des sales types.”
L’auteur ne perdant jamais de vue que chacun d’entre nous est l’autre de l’autre et qu’ “il y a deux sortes d’hommes: ceux qui font comme les autres…et les autres.”
Je garde en réserve quelques livres que Jacques m’a conseillés comme “Haute Solitude” dont il dit dans “Illumination” , la nouvelle qu’il nous avait offerte pour les vingt ans de la librairie Lucioles: “Quelquefois, corner les livres ne me sert à rien: Haute Solitude de Léon-Paul Fargue est corné à chaque page.”
Je crois lui avoir fait découvrir Jean-Claude Pirotte, un poète lui aussi bousculé par la maladie.
Dans notre dernière conversation Jacques évoquait encore subtilement ce maître livre de Boulgakov “Le Maître et Marguerite” que nous avions relu tous les deux. Il envisageait de réunir dans un prochain livre les chroniques qu’il voulait écrire sur ses auteurs de prédilection…
Jacques A. Bertrand était un grand lecteur devant l’éternel et je l’imagine, en cet instant, prendre par l’aile un ange pour lui susurrer dans l’oreille une nouvelle de Salinger ou lui déclamer, cigarillo au coin des lèvres, “Misère que tout cela” de Francis Blanche.
Post-scriptum:
“Le pas du loup” , livre d’une grâce infinie sur la mort accidentelle de sa mère revécue au cours d’une luxueuse croisière m’a fait à nouveau mesurer -vingt-sept ans après sa première lecture- à quel point la disparition de ceux qu’on aime rend dérisoire tout le reste. Merci Jacques pour cette alliance de profondeur et de distance, d’humour et de légèreté.
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