J’avais eu la chance, en 2004, de rencontrer Jim Harrison dans les locaux de son éditeur historique Christian Bourgois pour lequel j’avais une grande admiration.
J’admirais tout autant l’œuvre de celui que ses amis appelaient Big Jim et que j’avais découvert avec “Légendes d’automne” ces terribles “novellas” -forme à mi-chemin entre le roman et la nouvelle qu’Harrison affectionne- qui lui avaient valu une reconnaissance mondiale et … beaucoup d’argent lui ayant fait, de son propre aveu, quelque peu tourner la tête.
Mais c’est la lecture de Dalva, il y a plus de 30 ans, qui m’avait profondément marqué: Comment un homme tel que Jim Harrison, gros mangeur, grand buveur, adepte de chasse et de pêche traînant une réputation de macho, pouvait-il se mettre dans la peau de cette femme de 50 ans à la recherche de son fils abandonné 29 ans plus tôt?”Dalva (étoile du matin en brésilien ) je l’ai vue en rêve” dit Jim Harrison dans “Seule la terre est éternelle” le très beau documentaire que François Busnel lui consacre. Il avait rencontré Big Jim en 1999 et il admirait cette œuvre à la fois puissante et subtile, irriguée par sa passion des Amérindiens, de la vie sauvage et de l’homme face à la nature. Le tournage du film commence en 2015 chez Jim Harrison dans le Montana. “Entretiens, parties de pêche sur la Yellowstone River, marches dans les collines de bois brûlé d’Emigrant Peak, dîners entre amis…”
François Busnel devait revenir l’année suivante mais Jim Harrison est mort en mars 2016. Le film n’en est que plus bouleversant car en voyant Big Jim appuyé sur sa canne, allumer en tremblant cigarette sur cigarette, on pressent en l’écoutant et en écoutant la profondeur de ses silences que ce sont les dernières paroles d’un homme qui va à l’essentiel, au milieu d’une nature à laquelle il est lié de toutes ses fibres : “Une rivière qui coule, c’est une belle métaphore de la vie” dit celui pour qui regarder une rivière toute la journée constitue un bain de jouvence.
Jim Harrison évoque dans le film avec beaucoup d’humour la naissance de cette novella intitulée “La femme aux Lucioles”: “Elle est en voiture avec son mari, ils s’arrêtent sur une aire de repos. Elle sort par la porte arrière dans un champ de maïs. Son mariage est terminé.”
En moins de cent pages, Jim Harrison compose un hymne à la liberté des femmes. “Grandi entouré de femmes, je n’ai aucun mal à trouver cette voix en moi.” Et c’est vrai que le lecteur est impressionné par tant de justesse, par la fluidité des monologues intérieurs de cette femme qui se réconcilie avec elle-même et se reconstruit en une nuit, seule, au milieu de la nature.
Le texte montre aussi le rôle fondateur et transformateur de la littérature pour le romancier et pour son personnage qui parle de ses lectures de René Char, Rimbaud, Verlaine, Laforgue, Alain-Fournier, Camus, Dostoïevski… et tant d’autres.
Qu’il me soit permis de citer ces phrases qui me touchent: “Une demi-douzaine de lucioles s’étaient réunies dans l’obscurité de sa caverne verte, dont les trajectoires minuscules paraissaient imiter les circonvolutions de ses pensées.” Ou encore: “Au-dessus des fourrés le nuage des lucioles était plus dense par endroits et leurs clignotements innombrables tourbillonnaient si vite qu’en plissant les yeux l’on ne distinguait plus que des traits de lumière jaune sillonnant les ténèbres.”
Après la publication de “La femme aux lucioles” dit avec un petit sourire Big Jim “beaucoup de féministes qui, jusque-là, voulaient me trancher la gorge, ont soudain décrété qu’elles m’aimaient.”
François Busnel m’avait dit, lorsque j’avais vu, il y a cinq ans de cela, une première version de son film au festival America de Vincennes qu’il viendrait le présenter à Vienne dès qu’il aurait trouvé un distributeur. Promesse tenue!
François Busnel sera à VIENNE ce mercredi 2 mars à 19h30 au cinéma l’Amphi, projection initiée par Cinéclap en partenariat avec la librairie Lucioles qui proposera ce soir-là tous les livres de Jim Harrison ( dont 11 dans la collection 10-18 ont été préfacés par François Busnel) pour l’avant-première de “Seule la terre est éternelle.” Le film sera disponible dans toute la France le mercredi 23 mars.
Jim Harrison se considérait avant tout comme un poète et mon kaléidoscope se termine par un poème consacré à la mort de sa sœur bien aimée, tuée à 19 ans, en même temps que son père par un chauffard ivre.
Harrison, sœur
Je voulais jouer une chanson pour toi
sur notre vieux phono de 1954
à 28 dollars mais il n’y a plus d’aiguille
et on ne les fabrique plus.
L’œuvre de l’homme transforme une voix
en aiguille. À dix-neuf ans tu as été enterrée
dans du bois avec papa. J’ai passé ma vie
à tenter d’apprendre le langage des morts.
Le babil musical des minuscules pinsons jaunes
du jardin s’en approche beaucoup. Il est minuit
et j’accorde ma caresse nocturne au ventre
de la chienne, qui en a réellement besoin.
Peut-être as-tu dérivé loin d’ici tel un antique
oiseau espérant nicher sur la lune.
Ce poème fait partie du recueil “Une heure de jour en moins” publié chez Flammarion dans la traduction de Brice Mattieussent, son complice de toujours.
C’est aussi par un bouleversant poème sur la mort de ses amis proches que se clôt ce beau film qui doit son titre à un proverbe des Indiens Lakota.
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