“Bolloré: Razzia sur l’édition”. C’était la Une de l’hebdo Politis il y a trois mois. Il y a tout lieu de craindre que le pillage ait lieu en ce mois de février.
On ne va pas s’appesantir sur tous les méfaits du “Tycoon” (cela fait plus moderne que “magnat”!) aux dents démesurées… mais on peut tout de même rappeler qu’il a fait fortune en Afrique et reconnu en 2017 des faits de corruption active au Togo et placé en garde à vue. Mais, me direz-vous où en est le jugement dans cette affaire? “Nulle part” vous répondrais-je. Autre question?!
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre glouton ( ça rime, vous avez remarqué !). Après avoir racheté Vivendi et par conséquent Éditis, le deuxième groupe d’édition et de distribution du livre en France (51 maisons d’édition tout de même) le rapace est en passe d’avaler Hachette, le leader du marché (et numéro 3 mondial) qui est plus de trois fois plus gros qu’Éditis. S’il arrive à ses fins, le nouveau monstre dominerait 74 % du livre scolaire, 83% du parascolaire, 78% des collections de poche, 50% des livres pratiques. Plus grave encore, le mastodonte contrôlerait 50% de la diffusion et de la distribution du livre en librairie et jusqu’à 100% dans les supermarchés et “petits” hypermarchés.
Tout cela ne va pas dans le sens de la bibliodiversité: quand on sait que parmi les 68000 nouveaux livres ( et nouvelles éditions) commercialisés chaque année en France les 1000 titres les plus vendus représentent 20 % du chiffre d’affaire le quasi monopole du nouvel ogre ne fera qu’aggraver la tendance à la best-sellerisation.
Heureusement la contre-attaque s’organise : éditeurs, auteurs, libraires, salariés du monde de l’édition ont tout à perdre à une telle concentration et se mobilisent auprès de la Commission Européenne pour empêcher cette situation de quasi-monopole.
Coauteur de “Vincent tout-puissant”, le journaliste d’investigation Nicolas Vescovacci voit une continuité entre l’empire médiatique de Bolloré et ses acquisitions dans le secteur du livre: “il y a une volonté de contrôler une grande partie de l’édition, et donc de la production intellectuelle française, pour bâtir des relais médiatiques qui puissent diffuser des idées conservatrices, de droite ou d’extrême-droite.” C’est Bolloré qui a mis à l’écart les “guignols de l’info”, trop impertinents à son goût, quand il s’est emparé de Canal+ dont il a détruit toute l’originalité au nom de la sacro-sainte rentabilité. Plus grave encore, cette course effrénée aux profits immédiats va de pair avec une mise au pas des journalistes: c’est lui qui a transformé iTélé en CNews ( ça sonne un peu comme Fox News, la chaîne qui a fortement contribué au succès de Trump, vous ne trouvez pas ?!) devenue une chaîne d’opinion d’une droite souvent extrême. C’est encore Bolloré (qui ne fait pas mystère d’un catholicisme traditionaliste) qui a souhaité la présence quotidienne de Zemmour sur CNews et lui a permis de développer ses obsessions nauséabondes, racistes et antisémites.
Une étude menée par une dizaine de chercheurs sur les émissions animées par Cyril Hanouna entre septembre et décembre 2021 montre que la diversité n’est pas le fort de la chaîne de Bolloré. Jugez vous-mêmes: 52,9% du temps d’antenne est consacré à l’extrême-droite et en particulier à Éric Zemmour qui occupe à lui seul 44,7% du temps!
On peut s’inquiéter du silence assourdissant de ceux qui nous gouvernent et en particulier du ministère de la Culture qui est clairement menacée si les appétits de Bolloré dans le monde de l’édition ne sont pas limités.
Commentaire de Philippe:
Merci pour tes Kaléidoscopes…
Bolloré, le pote à Sarko, le pygmalion / pig maillon du rat < EZ >, c’est la gangrène mondiale, des écosystèmes et des infosystèmes, c’est une évidence (émission très didactique sur France-inter (la chaine radio à détruire, selon le ci-dessus nommé < EZ >) dans “Affaires Sensibles” du 6.02.2022
https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-lundi-06-decembre-2021 )
On a trop souvent tendance à négliger ces êtres de l’ombre que sont les traducteurs et c’est au moment où ils disparaissent qu’on mesure leur importance. J’ai eu la chance de rencontrer Christine le Bœuf et vous trouverez ci-dessous l’hommage de Livres-Hebdo.
Christine Le Bœuf est morte le 3 février au Paradou, à l’âge de 86 ans, annonce Actes Sud, maison qu’elle avait co-fondée avec son époux, Hubert Nyssen (1925-2011). Petite-fille du banquier et mécène Henry Le Bœuf, Christine Le Bœuf est née à Bruxelles en 1935. Naturalisée française en 1976, neuf ans après son mariage, elle travaille en tant qu’illustratrice pour Epigones, L’Ecole des Loisirs, Hachette et d’autres éditeurs de 1968 à 1986. Dès la création d’Actes Sud, en 1978, et jusqu’en 1991, Christine Le Bœuf réalise également les couvertures de tous les livres de la maison, en plus de la création d’illustrations originales.
A partir de 1986, elle se lance dans la traduction de textes anglais et américains pour l’éditeur. On lui doit les versions françaises des livres de Paul Auster, Martha Graham, Siri Hustvedt, Robin Chapman, Arthur Conan Doyle, André Dubus, Jeanne Goosen, Ron Hansen, Sherif Hetata, David Homel, Frank Huyler, Dan Kavannagh, Roy Lewis, Jack London, David Plante, Luc Sante, Bapsi Sidwah, George Steiner, Marly Youmans, Bahiyyih Nakhjavani et Alberto Manguel, entre autres.
Pour Bahiyyih Nakhjavani (La femme qui lisait trop), “Christine semblait posséder ce mystérieux pouvoir de lire, entre les mots, ce qui n’était pas écrit“. Et d’ajouter : “J’ai parfois eu l’impression qu’elle avait compris les tenants et aboutissants de mes origines et de mon environnement culturel bien mieux que moi-même. Elle avait, littéralement, pris résidence sous ma peau, dans mon crâne, mon gosier. Possédée comme elle était, je le sais, par les textes qu’elle traduisait, elle nous possédait néanmoins, nous autres écrivains, et elle nous re-créait.”
Dans son hommage, Alberto Manguel (Une histoire de la lecture) se souvient : “J’ai le souvenir de tellement de moments partagés, de confidences, de ce bonheur que j’ai eu à connaître Christine – seule, mais aussi avec Hubert. Quand ils parlaient des débuts d’Actes Sud, quand ils réagissaient face à la bêtise de notre époque, quand ils commentaient les livres qu’ils lisaient, je faisais mon apprentissage tout en me sentant adopté par eux comme un enfant égaré dans une immense bibliothèque.” “Au fil des années, Christine est devenue ma conscience littéraire. La mort d’un ami entraîne toujours une absence irréparable. Dans le cas de Christine, c’est une amputation. Je sens qu’un bras me manque, ou une partie de mon cerveau, celle qui exigeait de moi toujours plus de précision et de clarté. J’ai du mal à imaginer le monde sans elle” conclut-il.
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