“Les sentiers battus n’offrent guère de richesses, les autres en sont pleins.” Nul doute que Georges Brassens aurait pu reprendre à son compte cette citation de Jean Giono, lui qui a toujours préféré les chemins de traverse et faire l’école buissonnière “sans souci du qu’en dira-t-on”.
“Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant mon ch’min de petit bonhomme”Aux strophes suivantes:”En n’écoutant pas le clairon qui sonne””En laissant courir les voleurs de pommes””En suivant les ch’mins qui n’mènent pas à Rome”
Avec ce leitmotiv de “La mauvaise réputation”:
“Mais les braves gens n’aiment pas que
L’on suive une autre route qu’eux.”
Brassens vole toujours au secours des marginaux, des exclus, des étrangers…Il faut réécouter “chanson pour l’Auvergnat” au moment où les camps de réfugiés sont détruits ou deviennent des prisons.
Il nous invite à porter un autre regard sur les prostituées dans cette émouvante “Complainte des filles de joie” qui se conclut sur cette strophe:”Il s’en fallait de peu mon cher
Que cett’putain ne fût ta mère
Cette putain dont tu rigoles
Parole, Parole,
Cette putain dont tu rigoles.”
Suivre le troupeau des braves gens conformistes, des “imbéciles heureux qui sont nés quelque part”, très peu pour lui! Georges Brassens restera jusqu’à ce que la camarde l’emporte, il y a tout juste 40 ans, résolument anticlérical et antimilitariste, en un mot anarchiste. Il donnera de nombreux articles à la revue anarchiste “Le Libertaire” et militera en 1963 pour que l’objection de conscience soit reconnue. Il aura eu la satisfaction de mourir quelques semaines après l’abolition de la peine de mort dont il était un farouche opposant comme en témoigne la dernière strophe de son tonitruant “Gorille”.
Qui d’autre que lui aurait pu écrire ces “Stances à un cambrioleur”, cette “Non-demande en mariage” ou chanter “Les oiseaux de passage” qui est peut-être ma chanson préférée de ce grand bonhomme qui aurait eu 100 ans aujourd’hui. Si vous aviez oublié les paroles, les voici:
Ô vie heureuse des bourgeois
Qu’avril bourgeonne
Ou que décembre gèle,
Ils sont fiers et contents
Ce pigeon est aimé,
Trois jours par sa pigeonne
Ça lui suffit il sait
Que l’amour n’a qu’un temps
Ce dindon a toujours
Béni sa destinée
Et quand vient le moment
De mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs
C’est là que je suis née
Je meurs près de ma mère
Et je fais mon devoir
Elle a fait son devoir
C’est-à-dire que Onques
Elle n’eut de souhait
Impossible elle n’eut
Aucun rêve de lune
Aucun désir de jonque
L’emportant sans rameurs
Sur un fleuve inconnu
Et tous sont ainsi faits
Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là
Cela n’est point hideux
Ce canard n’a qu’un bec
Et n’eut jamais envie
Ou de n’en plus avoir
Ou bien d’en avoir deux
Ils n’ont aucun besoin
De baiser sur les lèvres
Et loin des songes vains
Loin des soucis cuisants
Possèdent pour tout cœur
Un viscère sans fièvre
Un coucou régulier
Et garanti dix ans
Ô les gens bien heureux
Tout à coup dans l’espace
Si haut qu’ils semblent aller
Lentement en grand vol
En forme de triangle
Arrivent planent, et passent
Où vont-ils? … qui sont-ils ?
Comme ils sont loin du sol
Regardez les passer, eux
Ce sont les sauvages
Ils vont où leur désir
Le veut par dessus monts
Et bois, et mers, et vents
Et loin des esclavages
L’air qu’ils boivent
Ferait éclater vos poumons
Regardez-les avant
D’atteindre sa chimère
Plus d’un l’aile rompue
Et du sang plein les yeux
Mourra. Ces pauvres gens
Ont aussi femme et mère
Et savent les aimer
Aussi bien que vous, mieux
Pour choyer cette femme
Et nourrir cette mère
Ils pouvaient devenir
Volailles comme vous
Mais ils sont avant tout
Des fils de la chimère
Des assoiffés d’azur
Des poètes des fous
Regardez les vieux coqs
Jeune Oie édifiante
Rien de vous ne pourra
Monter aussi haut qu’eux
Et le peu qui viendra
d’eux à vous
C’est leur fiente
Les bourgeois sont troublés
De voir passer les gueux.
J’ai longtemps cru que ces “oiseaux de passage” sortaient de la plume (jeu de mots involontaire!) du grand Georges tant cette ode à la liberté s’accordait avec sa philosophie libertaire. En réalité c’est Jean Richepin, un poète aujourd’hui tombé dans l’oubli, à la différence d’Arthur Rimbaud dont il a croisé le chemin, qui publie ce poème dans un recueil intitulé “La chanson des gueux” qui aura des ennuis avec la censure à sa publication en 1876. Georges Brassens ne reprend pas le texte dans son intégralité mais lui donne un écrin musical incomparable:
Comme il l’a fait pour des textes de Victor Hugo, Pierre Corneille (K48), Louis Aragon, Paul Verlaine…
Vous trouverez ci-dessous le commentaire d’André à mon kaléidoscope sur Brassens ainsi que sa version des “Oiseaux de passage”.
Merci Michel pour ce kaléidoscope qui fait la part belle à Brassens .
En ces temps de commémoration de son centenaire et des quarante ans de sa disparition , je me suis un peu tenu à l’écart de la fête. La récupération par la télé de l’événement a réduit le bonhomme à une espèce de tonton un peu bourru mais sympa .Tout le showbiz était là pour revendiquer la filiation !!!
J’ai laissé passer l’agitation, et je te remercie de rappeler la force de ses propos, sa liberté de penser et sa méfiance du troupeau de moutons . ( “je suis celui qui marche à coté des fanfares et qui chante en sourdine un petit air frondeur” dit il dans Le Pluriel )
Tu avais évoqué dans un autre kaléidoscope ” Marquise ” De Pierre Corneille , où là encore Brassens n’avait pas repris l’intégralité du texte , tout comme dans le poème de Paul Fort “La Marine” ou celui d’Antoine Pol “Les Passantes ” . En découvrant les textes avant le petit ménage de Brassens , on s’aperçoit qu’il a gardé l’essentiel et que souvent ce qui a été écarté est un peu en-dessous du reste , parfois redondant , en tous cas il nous apparait aujourd’hui que les choix de Brassens ont donné aux textes réduits une grande intensité dans le format court d’une chanson .
Cela semble évident et naturel , pourtant Brassens a fait preuve d’une grande intelligence , il ne s’est pas planté !
Je t’envoie en PJ une version des “oiseaux de passage” que j’avais enregistrée il y a quelques années avec Didier Ottin ; ça démarrait comme un rap ! .
Amitié
André
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