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KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

Kaléidoscope 158: Dans les pas de François Rabelais et de ses géants.

  Nous ne saurons jamais si François Rabelais aurait aimé arpenter sa Touraine natale à vélo, ce génial moyen de locomotion inventé plus de 300 ans après sa naissance. On peut cependant se prendre à rêver qu’il ait rencontré Léonard de Vinci, un esprit à sa mesure, dont un dessin de 1493 figure un étrange vélocipède. 

    C’est probablement en 1494 -dans la maison familiale de la Devinière à Seuilly, non loin de Chinon- que naquit François Rabelais. On découvre cette maison au détour d’un chemin au milieu des vignes, à deux pas de géant de l’abbaye de Seuilly où l’on imagine bien frère Jean des Entommeures faire du hachis des soldats de Picrochole coupables de piller les raisins de l’abbaye: Le service du vin passe avant le service divin! Ce chapitre XXV de Gargantua vaut son pesant de bon vin de Saumur ou de Chinon! 

Le village de Lerné est à moins d’une lieue et c’est là que le belliqueux Picrochole règne en autocrate, tout le contraire du sage Gargantua. Et c’est aussi le cadre de ces grotesques guerres picrocholines où Rabelais dénonce avec drôlerie l’absurdité des guerres de son temps… et du nôtre.

   On est ému de découvrir le cadre des aventures imaginées par Rabelais, de mettre nos petits pas dans ceux de ces géants inventés ici, et de redécouvrir ensuite cette langue foisonnante, tonique et drue qui les fait vivre.

   C’est pour se protéger de la censure que François Rabelais écrit sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier (anagramme de ses nom et prénom) “Pantagruel” en 1532. 

   Après s’être vu confisquer ses livres de grec, Rabelais verra “Gargantua” être interdit pour obscénité et “Le Tiers Livre” pour hérésie.

   Peu d’auteurs peuvent se vanter d’avoir suscité autant de mots consacrés à leurs personnages ou à leur nom : gargantuesque, pantagruélique, rabelaisien… des qualificatifs qui ont eu tendance à le réduire, lui et son œuvre à la paillardise et à la goinfrerie. Il faut dire que le gaillard n’a reculé devant aucune grossièreté: dans le chapitre XII de Gargantua intitulé “Comment Grandgousier reconnut à l’invention d’un torchecul la merveilleuse intelligence de Gargantua” je vous laisse découvrir les mille et une façons de faire la chose et celle qui eut la préférence du jeune Gargantua. 

   On considère aussi que Rabelais est l’inventeur de la contrepèterie. À vous de trouver ces deux exemples tirés de “Pantagruel” ! “Femme folle à la messe” et “À Beaumont-le-Vicomte”. 

   Chez Rabelais, le corps exulte en toutes ses fonctions vitales: les repas sont pantagruéliques, on y fait “joyeusement la bête à deux dos”:

 “En son âge viril épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillos, belle gouge et de bonne trogne, et faisaient eux deux souvent ensemble la bête à deux dos, joyeusement se frottant leur lard, tant qu’elle engraissa d’un beau fils et le porta jusqu’à l’onzième mois.”

“De ces gras bœufs, avaient fait tuer trois cent soixante-sept mille et quatorze pour être à mardi gras salés, afin qu’au printemps ils eussent bœuf de saison à tas pour, au commencement des repas, faire commémoration de salures et mieux entrer en vin.”

On pète, on rote et on chie sans honte mais jamais, dans cette œuvre jubilatoire (c’est Rabelais qui écrit que le rire est le propre de l’homme) le corps n’est séparé de l’esprit, le haut est inséparable du bas, l’être humain est corps et âme.

   Car Rabelais est avant tout un humaniste et un esprit libre. Il fut aussi l’un des “meilleurs docteurs en médecine” de son temps: on trouve trace de son passage à Paris, à Montpellier -où il est reçu Bachelier en médecine- et à l’Hôtel-Dieu de Lyon où il est nommé médecin.

   Moine, érudit, traducteur, médecin, botaniste, écrivain à la curiosité universelle… il est l’un des esprits les plus éclairés de la Renaissance. Une Renaissance qui porte bien mal son nom, période d’intolérance religieuse, de guerres fratricides, de puritanisme. C’est une époque où la Sorbonne interdit l’étude du grec et Rabelais dénoncera les “sorbonnagres” et les sophistes bornés qui bourrent le crâne de Gargantua de textes à apprendre par cœur à l’envers et à l’endroit de sorte qu’il en devint “fou, niais, tout rêveux et rassoté”. Dans Gargantua, Rabelais imagine un système éducatif dont on pourrait encore “prendre de la graine”aujourd’hui. Au fronton de l’”Abbaye de Thélème”, communauté laïque imaginée par Rabelais cette prescription : “Fais ce que voudras”. Dans cette abbaye pas de clôture, pas d’horaires, pas de séparation des sexes, pas de célibat! On est à l’opposé des vœux monastiques encore en vigueur aujourd’hui. Et c’est encore Rabelais l’inventeur de cette maxime toujours d’actualité : “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”.


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