À l’heure où les Talibans reviennent au pouvoir à Kaboul, il faut se souvenir des dégâts provoqués par tous les fondamentalistes religieux.
“Religieux, religion”, des mots magnifiques symboles de paix et de fraternité, de respect des droits des hommes et des femmes ont des étymologies diverses et quasi antagonistes : en latin relegere signifie recueillir rassembler et religare a abouti au verbe relier mais religio est aussi synonyme de scrupule, de ferveur inquiète et désignera au Moyen-Âge la discipline monastique. De quoi en perdre son latin et permettre de mettre sous le terme de religion des réalités bien différentes.
Cela n’empêchera pas l’histoire des religions d’être jalonnée de violence et d’intolérance : guerres de religion, inquisition, croisades pour imposer sa propre religion au détriment des autres croyances ou “incroyances”.
Aujourd’hui encore des minorités juives, chrétiennes ou musulmanes rivalisent d’intolérance et sont bien loin des notions de lien et de fraternité.
On connaît le fanatisme des colons juifs en Israël déniant tout droit aux Palestiniens. On sait que ce sont les fondamentalistes chrétiens qui ont contribué à la victoire de Trump aux États-Unis ou à celle de Bolsonaro au Brésil. Le numéro 7 de la revue America intitulé “Il était une foi en Amérique” nous rappelle que 4 américains sur 10 sont convaincus qu’ils descendent en ligne droite d’Adam et Ève! ( voir K24).
Et c’est au nom de l’Islam que les Talibans s’apprêtent à interdire aux femmes afghanes de s’instruire, de travailler et de se soigner. À les obliger à vivre voilées et à être mariées de force.
Heureusement, les trois monothéismes n’ont pas toujours le visage de l’intolérance et du refus de la différence.
La présence musulmane en Espagne pendant huit siècles a été certes marquée par une alternance de croisades, de conquêtes et de guerres. Mais elle a aussi été le creuset d’une civilisation d’un extrême raffinement dont les villes andalouses de Grenade, Cordoue ou Séville portent aujourd’hui le fascinant témoignage.
Peuvent aussi en témoigner la poésie et la musique arabo-andalouses où la description de la nature, des jardins fleuris, des joies et des peines de la vie quotidienne côtoient la célébration de l’amour, des plaisirs charnels et de l’ivresse.
“Al-Andalus est cette terre généreuse où des populations d’origines diverses se sont croisées, des cultures métissées, des religions côtoyées, où la civilisation matérielle était des plus raffinée et où se sont épanouis, comme nulle part ailleurs en pays d’islam, les sciences, la philosophie, les lettres et les arts.” écrit Farouk Mardam-Bey ( grand connaisseur et éditeur de la culture arabe) dans sa préface à un très beau livre illustré de dessins et calligraphies de Rachid Koraïchi intitulé Poésie arabo-andalouse. Cette petite anthologie ( éditée en partenariat avec l’Institut du monde arabe) nous fait mesurer la liberté d’inspiration de ces poètes.
Sagesse
Abreuve ton cœur, il guérira
Et vis ta vie, elle s’en va déjà!
Devrait-t-elle durer mille ans pleins
Que je ne pourrais en être las
Vas-tu t’affliger jusqu’au trépas
Quand le luth et le bon vin sont là?
Résiste à l’assaut de tes tourments
La coupe est une épée, brandis-la!
La raison te noie dans tes soucis
Le sage est celui qui ne l’est pas.
Il n’est pas certain que ce poème écrit par Al-Mu’Tamid Ibn ‘Abbâd il y a près de 1000 ans trouverait grâce aujourd’hui aux yeux des Talibans qui envisagent, comme ils l’ont fait il y a vingt ans, d’interdire en Afghanistan les instruments de musique.
Les lumières, c’était hier en Andalousie. L’obscurantisme c’est aujourd’hui en Afghanistan… ou en Arabie Saoudite.
La réception de ce kaléidoscope a ravivé les souvenirs de notre ami Jean-Yves Loude, souvenirs d’un temps pas si lointain où il faisait bon vivre à Kaboul.
Avec Viviane, Jean-Yves est allé très souvent chez les Kalash du Pakistan. Leur belle exposition ( voir mon 26ème kaléidoscope) sur ce peuple oublié est désormais en ligne ( visite virtuelle) sur le site du Musée des Confluences.
“En 1970, nous déambulions dans le bazar de Kabul, au milieu des vendeurs de grenades, de zinnias, et les cages aux oiseaux. Les vendeurs de pommes frottaient leurs fruits contre leur kemiz pour qu’ils brillent. Nous mangions dans la rue le riz palaw, aux raisins secs et mouton, tandis que le joueur de sitar répandait l’ivresse de la poésie soufi, le ghazal. Les jeunes étrangers, bien mal accoutrés, étaient accueillis, tolérés. Les montagnes étaient mauves, quand nous les approchions, perchés sur le toit des bus, anxieux d’apercevoir les Bouddahs de Bamyan. Je crois n’avoir jamais vu plus beaux lacs que ceux de Band-i-amir, au centre du pays, se déversant l’un dans l’autre. Merci se disait Tachakor. Je trouvais ce mot sucré. La vie était douce et belle.”
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