“Ce qu’il ne m’a pas appris, je le lui ai piqué.” affirmait Coluche en parlant de Romain Bouteille qu’il vient de rejoindre au paradis, bien encombré, des humoristes.
On ne peut pas dire que sa disparition ait fait la une des gazettes, elle n’a pas bousculé la programmation des télévisions qui n’ont pas cru bon de rediffuser “Le graphique de Boscop” film réalisé en 1976 par Georges Dumoulin et Sotha à partir de la pièce longtemps jouée au Café de la gare. Ne comptez pas sur moi pour vous narrer l’intrigue de ce nanar (pour certains) cultissime. Elle est un tantinet “capilotractée”. Sachez seulement que Romain Bouteille y jouait le rôle du patriarche éboueur et érudit et néanmoins père de Pissenlit, son plus ou moins débile de fils.
Ce film joyeusement déjanté a eu le privilège unique de faire les beaux jours -ou plutôt les belles nuits- du CNP Terreaux à Lyon, en étant depuis sa sortie en 1976 jusqu’en 2010 projeté tous les samedis à minuit. J’en connais qui l’ont vu des dizaines de fois!
Mais l’aventure du Café de la Gare commence quelques années plus tôt, en 1969 dans le quartier de Montparnasse avant de déménager en 1971 dans le Marais. “C’était un théâtre libre, dirigé par des hommes et des femmes libres.” disait le comédien Henri Guybet, un des fondateurs du Café de la Gare, dans le beau documentaire de Guillaume Meurisse et Émilie Valentin que France 5 a programmé il y a quelques mois et qu’elle serait bien inspirée de rediffuser. Dans mon immense bonté je vous offre le lien qui vous permettra de le visionner! https://www.france.tv/france-5/passage-des-arts/2035837-c-est-moche-c-est-sale-c-est-dans-le-vent-c-est-le-cafe-de-la-gare.html
Romain Bouteille et sa bande ont vraiment inventé le café-théâtre. Ils se sont engouffrés dans l’appel d’air provoqué par Mai 68, créant ce mélange de déconnade, de dérision et de provocation. Le théâtre fonctionnait sans chef et chaque soir les acteurs se partageaient la recette.
Le Café de la Gare a vu débuter un nombre incroyable de comédiens : Anémone, Gérard Lanvin, Josiane Balasko, Michel Blanc, Gérard Jugnot, Renaud, Gérard Depardieu, Miou-Miou, Patrick Dewaere, Coluche… “On ne devient pas célèbre au Café de la Gare, c’est quand on en part qu’on le devient car le côté star, qui implique des concessions, ne faisait pas partie de notre état d’esprit.”, expliquait Romain Bouteille qui a tourné dans de nombreux films sans se soucier de faire carrière, une forme de liberté anarchiste qu’il revendiquait.
Au Café de la Gare, pas de réservation, une roue de loterie fixe le prix des places : de “moins 1 franc à 20 francs” …et on offre au public un verre de vin rouge et un bol de soupe.
Ma découverte de Romain Bouteille date de l’été 1972. Avec des amis étudiants, nous nous sommes entassés dans une 2cv poussive qui nous a tout de même conduits jusqu’au Lavandou pour le premier “Festival sur le sable”. L’affiche avait été dessinée par Folon.
Au programme cinq soirées inoubliables, assis ou debout sur le sable de la plage: Brigitte Fontaine et Areski. Jacques Higelin. Rufus. Le Grand Magic Circus de Jérôme Savary ( et ses animaux tristes). Coluche et sa troupe du Vrai Chic Parisien. Romain Bouteille et la troupe du Café de la Gare avec, entre autres Sotha (une des fondatrices qui aujourd’hui fait encore vivre ce lieu mythique), Miou-Miou et Patrick Dewaere.
À l’époque, seul Higelin était un peu connu.
Je me souviens avec un brin de nostalgie de cette ambiance de fête insouciante et bon enfant et du dernier soir où nous nous sommes pressés dans une boîte de nuit appelée “La Tomate” (!) pour une soirée d’improvisation de tous les artistes que nous avions côtoyés sur la plage pendant ces cinq journées inoubliables.
Mais ce souffle de liberté, ces sketches subversifs et provocateurs, ces comédiens parfois à poil sur la scène, ces vapeurs de “hakik”, ces jeunes femmes aux seins nus sur la plage ne furent pas du goût de certains natifs du Lavandou… et il n’y eut pas de deuxième édition. Dommage!
Mon dernier kaléidoscope sur les iris vous a inspiré et vous en trouverez sur le blogue des échos ainsi qu’un beau texte plein de sensualité de Philippe Jaccottet tiré de “Taches de soleil ou d’ombre, notes sauvegardées” .
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