“La moindre ligne de Panaït Istrati est un portrait de lui, car jamais écrivain ne fut plus présent, corps et âme, dans son œuvre.”
Cette phrase de son ami Joseph Kessel résume bien l’impression du lecteur découvrant l’œuvre de ce personnage qui a connu un destin hors du commun.
Panaït Istrati est né à Brāila, port roumain sur le Danube en 1884. Il est le fils d’une blanchisseuse et d’un contrebandier grec tué par les garde-côtes alors que Panaït est encore bébé.
Le dessinateur Golo s’est pris de passion pour la vie et l’œuvre de celui que Romain Rolland présentera comme Le Gorki des Balkans. Son “roman graphique” de près de 500 pages ISTRATI ( Actes Sud BD) nous embarque, avec la simplicité et la clarté de son coup de crayon noir sur les traces d’ un homme enraciné dans sa terre de Roumanie. Et je remercie Anne de m’avoir, en m’offrant ces deux volumes, remis en mémoire le destin de cet assoiffé de justice.
C’est à 14 ans qu’il découvre la lecture et c’est une véritable révélation. Sa voracité est sans limite et il est capable de se priver de nourriture et de toit pour acheter avec ses ultimes deniers un roman de Tolstoï, de Dostoïevski ou de Balzac.
Le premier volume intitulé “Le Vagabond” nous embarque dans ses multiples pérégrinations autour de la Méditerranée et de la Mer Noire au début du XXe siècle et jusqu’au déclenchement de la première guerre mondiale.
Pour gagner sa vie il fait tous les métiers : cabaretier, marchand ambulant, peintre en bâtiment, manœuvre, soutier sur des paquebots, photographe ambulant…
Ce bourlingueur parle le roumain, le turc et le grec et ce n’est qu’à 32 ans qu’il apprend le français dans un sanatorium en Suisse où il soigne une tuberculose qui l’emportera 20 ans plus tard en 1935. Il découvre à cette occasion l’œuvre de Romain Rolland, le célèbre écrivain français qui vient d’obtenir le prix Nobel de littérature et qui va l’encourager à écrire et lui prodiguer de précieux conseils.
Après “Le Vagabond” c’est à “L’Écrivain”que Golo va consacrer son second volume. Et c’est en français -“un français que je venais de découvrir seul, en déchiffrant, à coups de dictionnaire, Fénelon, Jean Jacques et quelques autres classiques”- que Panaït Istrati publie à 40 ans son premier livre Kyra Kyralina, avec une enthousiaste préface de son mentor Romain Rolland. Cet écrivain autodidacte y déploie ses talents de conteur oriental et balkanique, animant des personnages hauts en couleurs, contrebandiers, personnages naïfs et sentimentaux… Il insuffle à la langue française qu’il vient d’apprendre une énergie barbare, n’hésitant pas à mélanger les genres, à passer du sublime au comique. Le succès est immense et dans les dix ans qu’il lui reste à vivre Panaït Istrati ne cesse d’écrire des livres que je vous laisse découvrir, me contentant de vous conseiller Les chardons du Baragan qui décrit avec lyrisme cette grande plaine où éclate, dix ans avant la révolution russe, la révolte de ces paysans roumains, révolte noyée dans le sang.
En 1927, Panaït Istrati est invité à Moscou pour fêter le 10e anniversaire de la Révolution Russe qu’il a soutenue avec enthousiasme. Il sera l’un des premiers à comprendre que les promesses communistes ont été trahies. À son retour, au bout de seize mois, aux militants qui lui disent qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, il répond: “les œufs cassés je les ai vus, mais où est l’omelette?”
“Tu es une flamme, tu comprends tout ce que la flamme peut comprendre; ta mission n’est pas de faire des théories de papier mâché mais de brûler. Tu brûles et tu es brûlé, tu accomplis, comme très peu d’âmes sur cette terre, ton devoir de flamme.” Lui écrit en 1923 son ami Nikos Kazantzaki, l’auteur d’Alexis Zorba, qui l’accompagne dans son périple russe.
Panaït Istrati restera jusqu’à son dernier souffle un révolté permanent, un “opposant éternel” comme il se décrit lui-même, un être humain marqué par son enfance et l’amour de sa mère: ” Pour moi, la vie se résume dans le mot “sentiment”. De la doctrine, je m’en moque (…) l’enfant est le commencement et la fin du monde ; lui seul comprend la vie parce qu’il s’y conforme, et je ne croirai à un meilleur avenir que le jour où la révolution sera faite sous le signe de l’enfance.”
Pour prolonger mes kaléidoscopes consacrés aux livres et à l’importance de la lecture et de la littérature, mon fils Jonathan m’a envoyé un bel article du journal “Le Monde” que cet amoureux des livres qu’était Panaït Istrati aurait sans doute aimé. Il est intitulé “La bibliothèque, miroir notre intimité.” Retrouvez-le à la fin du 128eme kaléidoscope .
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