Pour ce dernier kaléidoscope de l’année 2020, j’ai retrouvé les vœux que je formulais à son début ( K79: 20 sur vin. Rondeur des jours de Giono disponible ici et le moins qu’on puisse dire c’est que ce millésime tout en rondeur n’a pas tenu ses promesses. Et pour paraphraser le livre de Stig Dagerman : “Notre besoin de réparation est difficile à rassasier.”
C’est pourquoi il faut saluer le dernier numéro de Télérama consacré à cette réparation dont nous avons tant besoin.
L’historien Patrick Boucheron, dans un entretien liminaire (et lumineux!) nous dit que “la réparation est le contraire de la restauration. On ne peut bien réparer que ce que l’on renonce à rétablir dans son état initial (…), c’est le bon moment pour la réparation si l’on s’accorde sur le sens concret, banal et bricoleur du mot, si l’on décide de faire ce qu’on peut avec ce qu’on a, en laissant derrière nous cette rêverie d’un monde d’après.”
À la fin de cet entretien Patrick Boucheron, prolongeant l’intuition de Michel Foucault affirmant que notre époque ne propose pas assez d’art et de culture, appelle de ses vœux “un âge nouveau de la curiosité”.
Curiosité ! Ce mot que j’affectionne est lancé et curieusement (si j’ose dire!) son étymologie (du latin curiositas qui signifie ” désir de connaître “) nous entraîne encore du côté du soin et du souci (cure) qui nous ramène à la réparation.
Lorraine Rossignol, dans son article “Le beau fait du bien” montre le pouvoir réparateur des œuvres d’art à travers une expérience menée dans les hôpitaux de Lyon par la psychologue clinicienne Laure Mayoud qui a codirigé l’ouvrage: “L’invitation à la beauté. L’ouverture au monde par l’empathie esthétique.” Un rapport de l’OMS paru en 2019 souligne lui aussi les effets bénéfiques de l’art sur la santé physique et mentale.
Juliette Cerf s’interroge sur le pouvoir réparateur de la littérature et on peut se demander si la redécouverte, en période de pandémie, des librairies, ces lieux de vie où l’on diffuse et conseille la littérature, n’illustre pas ce besoin des êtres humains d’avoir recours à la littérature capable de proposer des “récits de substitution donnant une prise sur le réel et permettant d’agir sur nos blessures” comme l’affirme Alexandre Gefen dont il faut lire ou relire le livre paru en 2017: “Réparer le monde, la littérature française face au XXIE siècle “.
Dix ans plus tôt Tzvetan Todorov écrivait dans La littérature en péril : “si je me demande aujourd’hui pourquoi j’aime la littérature, la réponse qui me vient spontanément à l’esprit est : parce qu’elle m’aide à vivre. (…) Plus dense, plus éloquente que la vie quotidienne mais non radicalement différente, la littérature élargit notre univers, nous incite à imaginer d’autres manières de le concevoir et de l’organiser. Nous sommes tous faits de ce que nous donnent les autres êtres humains : nos parents d’abord, ceux qui nous entourent ensuite ; la littérature ouvre à l’infini cette possibilité d’interaction avec les autres et nous enrichit donc infiniment.”
En camp de concentration, Charlotte Delbo découvre que les personnages des livres peuvent devenir de fidèles compagnons : “les créatures du poète sont plus vrais que les créatures de chair et de sang parce qu’elles sont inépuisables. C’est pourquoi ils sont mes amis, mes compagnons, ceux grâce à qui nous sommes reliés aux autres humains, dans la chaîne des êtres et dans la chaîne de l’histoire.”
Il y a quelques semaines ( K122) je vous parlais du bouleversant livre d’Ahmet Altan écrit de sa cellule de prison, condamné à perpétuité : “Je ne reverrai plus le monde.” dans lequel il écrit que grâce à la force des mots ” j’ai un pouvoir magique: je passe sans encombre les murailles.”
La semaine prochaine, c’est-à-dire l’an prochain, je donnerai la parole au nouveau directeur du TNP Jean Bellorini qui souligne l’indispensable nécessité du spectacle vivant dont cette année de pandémie nous a privé.
Allez ! On répare mais on ne repart pas comme avant!
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