Kaléidoscope 123: Violences policières, migrants. Claude Roy et J.M.G. Le Clézio.
” Quand j’entends les mots Violences policières je m’étouffe.” Ces mots n’ont pas été prononcés par Donald Trump ou par Recep Erdogan mais par le ministre de l’Intérieur de la patrie des droits de l’Homme, alias le petit Nicolas, tant sa gloutonne ambition fait penser à son mentor ( non il n’y a pas de faute!) Sarkozy. Il proféra ces mots au moment où, à l’assemblée nationale, des députés mettaient en cause la police après l’interpellation du livreur Cédric Chouviat mort par asphyxie.
Le choix des mots a un sens: aujourd’hui le ministre de l’Intérieur parle d’ “images choquantes” après la violente évacuation de migrants par la police sur la place de la République où trône la statue du même nom, un brin d’olivier dans une main et une tablette portant l’inscription droits de l’homme dans l’autre.
Non monsieur Darmanin ! Ce ne sont pas les images ( que votre loi scélérate tente d’effacer) qui sont choquantes, c’est la réalité ! Et choquantes est un euphémisme : des policiers poursuivant à coups de leurs longues matraques de jeunes africains et afghans, retournant et mettant à sac leurs tentes, les gazant… Tout le monde a vu ces images ainsi que celles, encore plus insoutenables, de ces membres des “forces du désordre”, s’en prenant à un producteur qui, à leurs yeux de racistes, a seulement le tort d’être noir.
Et c’est au nom de la république que de telles exactions se produisent ? La honte nous submerge de voir des hommes politiques justifier ce déchaînement raciste. Honte du silence du préfet de police qui a ordonné cette évacuation, honte du silence des syndicats de policiers…
L’anthropologue Michel Agier a raison de dire, à propos de l’évacuation très violente des migrants de la place de la République, que “cette mise en scène participe de la volonté de susciter la peur de l’étranger, parmi les nombreuses peurs qui nous assaillent actuellement, entre pandémie et attentats. Cette démonstration de force porte la marque de l’atmosphère sécuritaire dans laquelle nous sommes plongés. J’ai l’impression qu’on gouverne depuis un bunker. (…) Ce qui est condamnable, c’est d’entretenir cette peur, de gouverner par la peur au lieu de faire valoir que l’étranger n’est qu’un autre nous-même et que nous pouvons l’accueillir, et même en avoir besoin.”
Mettre ces quelques centaines d’êtres humains à l’abri, au moment où le froid arrive, est pourtant facile à faire et la mairie de Paris a, de nouveau, proposé deux sites pour héberger ces laissés-pour-compte qui fuient pour la plupart la violence de leur pays.
“Comment penser à notre avenir si on est sans cesse traité de la sorte ?” s’interroge l’un d’entre eux.
Les associations qui s’occupent des migrants constatent que, ce qui se passait à Calais, se répand maintenant partout: ” Là-bas il y a des chasses à l’homme depuis 2015, et on nous a récemment interdit de distribuer des repas. Désormais on vit la même chose à Paris, un harcèlement permanent.” Nicolas Delhopital de Famille France-Humanité constate que ” le plus dur, c’est qu’ils sont un peu en train de revivre les scènes qui les ont poussés à quitter leur pays en guerre.”
On imagine les réactions de l’Abbé Pierre ou de Coluche à ces humiliations subies.
Et la colère du poète Claude Roy s’exprime déjà il y a plus de 50 ans dans le recueil intitulé “Circonstances”.
Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps
que d’autres n’auront pas le sommeil et l’abri
ni jamais vivre de bon cœur tant qu’il faudra que d’autres
meurent qui ne savent pas pourquoi
J’ai mal au cœur mal à la terre mal au présent
Le poète n’est pas celui qui dit Je n’y suis pour personne
Le poète dit J’y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d’entrer
Vous êtes déjà là
Qui vous frappe me frappe
J’en vois de toutes les couleurs
J’y suis pour tout le monde.
Merci à Augustin Trappenard de nous avoir remis en mémoire ces vers, en préambule au bel entretien qu’il a eu cette semaine dans son émission Boomerang avec Jean-Marie Gustave Le Clézio .
https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-24-novembre-2020
Le Clézio avait aussi écrit, il y a trois ans déjà, un émouvant texte sur les migrants qu’il avait lu dans la même émission ; le voici dans son intégralité :
La vérité, c’est que chaque drame de la migration en provenance des pays pauvres pose la question qui s’est posée jadis aux habitants de Roquebillière, lorsqu’ils ont offert l’asile à ma mère et à ses enfants : la question de la responsabilité.
Dans le monde contemporain, l’histoire ne répartit plus les populations entre factions guerrières. Elle met d’un côté ceux qui, par le hasard de leur situation géographique, par leur puissance économique acquise au long des siècles, par leur expériences, connaissent les bienfaits de la paix et de la prospérité. Et de l’autre, les peuples qui sont en manque de tout, mais surtout de démocratie.
La responsabilité, ce n’est pas une vague notion philosophique, c’est une réalité.
Car les situations que fuient ces déshérités, ce sont les nations riches qui les ont créées. Par la conquête violente des colonies, puis après l’indépendance, en soutenant les tyrannies, et enfin aux temps contemporains, en fomentant des guerres à outrances dans lesquelles la vie des uns ne vaut rien, quand la vie des autres est un précieux trésor.
Bombardements, frappes ciblées depuis le ciel, blocus économiques, tous les moyens ont été mis en oeuvre par les nations puissantes pour vaincre les ennemis qu’elles ont identifiées. Et qu’importe s’il y a des victimes collatérales, des erreurs de tirs, qu’importe si les frontières ont été tracées à coups de sabre par la colonisation sans tenir compte des réalités humaines.
La migration n’est pas, pour ceux qui l’entreprennent, une croisière en quête d’exotisme, ni même le leurre d’une vie de luxe dans nos banlieues de Paris ou de Californie. C’est une fuite de gens apeurés, harassés, en danger de mort dans leur propre pays.
Pouvons-nous les ignorer, détourner notre regard ?
Accepter qu’ils soient refoulés comme indésirables, comme si le malheur était un crime et la pauvreté une maladie ?
On entend souvent dire que ces situations sont inextricables, inévitables. que nous, les nantis, ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. Qu’il faut bien des frontières pour nous protéger, que nous sommes sous la menace d’une invasion, comme s’il s’agissait de hordes barbares montant à l’assaut de nos quartiers, de nos coffre-forts, de nos vierges.
Quand bien même nous ne garderions que l’argument sécuritaire, n’est-il pas évident que nos murs, nos barbelés, nos miradors sont des protections illusoires ?
Si nous ne pouvons accueillir celles et ceux qui en ont besoin, si nous ne pouvons accéder à leur demande par charité ou par humanisme, ne pouvons-nous au moins le faire par raison, comme le dit la grande Aïcha Ech Chenna qui vient en aide aux enfants abandonnés du Maroc : “Donnez, car si vous ne le faites pas, un jour ces enfants viendront vous demander des comptes”.
L’histoire récente du monde nous met devant deux principes contradictoires mais non pas irréconciliables.
D’une part, l’espoir que nous avons de créer un jour un lieu commun à toute l’humanité. Un lieu où régnerait une constitution universelle et souvenons-nous que la première constitution affirmant l’égalité de tous les humains, fut écrite non pas en Grèce, ni dans la France des Lumières, mais en Afrique dans le Royaume du Mali d’avant la conquête.
Et d’autre part, la consolidation des barrières préventives contre guerres, épidémies et révolutions.
Entre ces deux extrêmes, la condition de migrants nous rappelle à une modestie plus réaliste. Elle nous remet en mémoire l’histoire déjà ancienne des conflits inégaux entre pays riche et pays sous équipé c’est le maréchal Mobutu qui, s’adressant aux Etats-Unis proposa une vraie échelle de valeur établie non pas sur le critère de la puissance économique ou militaire d’un pays mais sur sa capacité au partage des richesses et des services afin que soit banni le mot de “sous-développement” et qu’il soit remplacé par celui de “sous-équipement”.
Nous nous sommes habitués progressivement, depuis les guerres d’indépendances, à ce que des centaines de milliers d’être humains, en Afrique, au Proche Orient, en Amérique latine, naissent, vivent et meurent dans des villes de toiles et de tôles, en marge des pays prospères. Aujourd’hui avec l’aggravation de ces conflits, et la sous-alimentation dans les pays déshérités, on découvre que ces gens ne peuvent plus être confinés. Qu’il traversent forêts, déserts et mers pour tenter d’échapper à leur fatalité.
Ils frappent à notre porte, ils demandent à être reçus.
Comment pouvons-nous les renvoyer à la mort ?
Dans son beau livre, le docteur Pietro Bartolo cite cette phrase de Martin Luther King, qui n’a jamais sonné aussi vraie : “Nous avons appris à voler comme des oiseaux et à nager comme des poissons, mais nous n’avons pas appris l’art tout simple de vivre ensemble comme des frères”
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