À quelques jours des élections américaines, il semblerait, sauf coup de Trafalgar de dernière minute, que le peroxydé en surcharge pondérale ait perdu la partie. Mais si Trump est un vrai cauchemar, on ne peut pas dire que Biden fasse rêver. S’il gagne, sa victoire sera fragile et la démocratie américaine, déjà bien malade depuis longtemps, sera en lambeaux et il faudra remercier le Covid d’avoir anéanti la réussite économique en trompe-l’œil de Trump. C’est en effet d’un champ de ruines que Biden va hériter: une nation fracturée, un rêve américain brisé malgré le mantra répété ad nauseam: Make America Great Again !
Jamais autant d’écrivains américains ne se sont mobilisés pour empêcher la réélection d’un président. Sous l’impulsion de Siri Hustvedt, de Paul Auster et de leur fille Sophie Auster plus de 1800 auteurs se sont rassemblés sous la bannière ” Writers against Trump”, contre le racisme, la xénophobie et la misogynie de Trump, de son administration et du parti républicain. ” Le climat politique actuel est dominé par une rhétorique malsaine” dit Siri Hustvedt qui espère qu’une prise de conscience est possible et que les Américains seront capables de regarder en face leur passé esclavagiste qui resurgit aujourd’hui sans avoir été affronté lucidement.
L’immense écrivain américain Russell Banks – que nous avons eu le grand privilège d’accueillir à la librairie Lucioles- est beaucoup plus pessimiste : il rappelle que 330 millions d’Américains possèdent 800 millions d’armes, que les écarts de richesse se sont accrus et que la plupart des Américains blancs considèrent leur culture comme supérieure à toute autre.
Dans le remarquable dossier que Libération a consacré aux “Écrivains contre Trump” le 17 octobre :
https://www.liberation.fr/planete/2020/10/18/les-ecrivains-americains-contre-trump_1802722
Russell Banks dévoile à nos yeux le contenu délétère de la boîte de Pandore ouverte par Trump il y a quatre ans.
“Au cours des mois qui ont précédé l’élection américaine de 2016, les démons du racisme et de la misogynie, de l’homophobie et de la xénophobie, les spectres de la haine et de la peur, après avoir rongé les barreaux de leur cage des décennies durant, ont tous été libérés d’un coup. Depuis cinq ans, ils rôdent comme bon leur semble dans notre pays, élisant domicile dans les campagnes et les banlieues, particulièrement celles du sud et de l’ouest des Etats-Unis, où ils se reproduisent et se multiplient sans être inquiétés. Et après cinq années d’errance, les voilà installés partout, jusqu’aux montagnes de l’Etat de New York, dans le coin du Nord-Est où je vis. Ces démons ont infecté les gens qui peuplent mes nouvelles et mes romans, notamment Affliction, De beaux lendemains et Continents à la dérive – des gens que j’aime et admire. Le discours, le comportement social et les opinions politiques qu’ils considéraient jusqu’alors comme inconvenants (dans le meilleur des cas) ou tabous (dans le pire) ont été démocratisés, normalisés, centrisés. Ces facettes sombres et démoniaques de l’identité américaine, nous les portons en nous depuis nos commencements. Nées et nourries sur le Vieux Continent, elles ont débarqué sur le rivage des Amériques avec les esclavagistes et leur clique de brigands et de pillards génocidaires, côte à côte avec les idéalistes et les utopistes éclairés, désireux de penser et de construire un Nouveau Monde, démocratique, libre et égalitaire.(…) Le retour cyclique de cet emprisonnement de nos démons est ce qui nous donne l’espoir que la sombre folie qu’ils ont apportée pourra être vaincue.(…) Mais après quatre années d’un gouvernement par les démons, pour les démons, révélant la face obscure de notre âme nationale, nous devons nous demander s’il est possible de les capturer et de les enfermer une fois de plus. Ne sont-ils pas devenus si nombreux, si gros, si profondément ancrés dans notre culture et notre gouvernement que ce sont désormais les anges lumineux de notre nature qu’on met aux fers ? Donald Trump, sa cohorte et ses sbires ont entièrement dévoré le Parti républicain et légitimé les haines et les peurs de plus d’un tiers des électeurs, et sans doute de plus de la moitié de toute la population. La chaîne d’information la plus regardée du pays, Fox News, est devenue le bras armé de la propagande démoniaque, et elle a réussi à mettre nos anges sous les verrous, à immobiliser cette moitié éduquée et idéaliste de notre population, qui œuvre à créer la société juste et inclusive rêvée par nos ancêtres. (…)Les riches se sont monstrueusement enrichis, les rangs des pauvres ont grossi de manière exponentielle. Pendant ce temps, nous autres, le reste de la population, la moitié du pays, épouvantés par la tournure que prennent les événements, nous nous sommes retirés dans de petites colonies préservées mais de plus en plus désemparées, cultivant l’esprit de clocher, ne parlant et ne prêchant plus qu’à nous-mêmes et à ceux qui sont déjà d’accord avec nous, n’ayant plus confiance qu’en nous-mêmes et en ces informations que Donald Trump a réussi à reléguer au rang de «fake news» pour décrypter le monde qui est en train de nous rattraper. Il est possible que Joe Biden, vice-président d’Obama de 2009 à 2017, remporte l’élection du 3 novembre, mais j’ai très peur que Trump, refusant la défaite, soit soutenu et porté par la moitié du pays, le Sénat et la Cour suprême. Abstraction faite du résultat des élections, Trump sera président jusqu’au 20 janvier 2021, et le Sénat restera entre les mains des républicains. Entre le 3 novembre et le 20 janvier, nous pouvons nous retrouver dans une situation où un putsch ne serait plus à exclure, même si on l’appellerait autrement. (…) Biden aura bientôt 78 ans, il est affaibli politiquement par des décennies de compromissions et d’arrangements. (…) La période qui s’ouvre nous donne toutes les raisons d’avoir peur, très peur. Un ouragan, sans précédent dans notre longue histoire, approche à grande vitesse.”
L’écrivain noir américain Eddy Harris n’est pas plus optimiste lorsqu’il écrit dans ce même dossier que devoir ” Choisir entre Biden et Trump montre à quel point les États-Unis sont tombés dans la boue.”
Colum McCann l’est davantage mais il pense qu’il faudra des années pour réparer son pays, que les écrivains par leurs récits peuvent y contribuer et qu’il faut faire en sorte que l’école joue un rôle d’éducation à la démocratie et au respect de l’autre.
Laure Adler recevra dans son Heure bleue ce mardi 3 novembre à 20 heures Paul Auster, prélude sur France Inter à une nuit américaine où s’exprimeront de nombreux écrivains français et américains .
J'essaye, jour après jour, de nourrir mon nouveau Blogue-comme l'écrivent nos amis québécois- emprunté à l'anglais blog, pour weblog, de web "réseau, toile" et log " Journal, carnet de bord".
C’est le Dictionnaire culturel en langue française sous la direction d’Alain Rey -ce linguiste érudit, non conformiste et amusant vient de nous quitter- qui m’apprend cette étymologie.
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