Après plusieurs kaléidoscopes de confinement pas spécialement optimistes, je m’étais promis que celui que vous lisez présentement mettrait en valeur de belles expériences de solidarité, d’entraide, de générosité…
Mais la mort de Luis Sepúlveda ( de cette saloperie de Coronavirus) a brisé mon élan et m’a ramené quelques années en arrière ; 28 ans précisément, comme le temps passe…
Septembre 1992: Anne-Marie Métailié publie le premier roman d’un écrivain chilien inconnu même dans son pays, Luis Sepúlveda. Toute l’équipe de la librairie Lucioles et un très grand nombre de libraires dans toute la France tombent sous le charme de ce petit livre formidable Le vieux qui lisait des romans d’amour. C’est le premier vrai succès des éditions Metailié créées douze ans auparavant par l’infatigable militante anti-impérialiste Anne-Marie Métailié avec pour devise: “Des livres pour vivre passionnément “.
Le livre a été inspiré à Luis par son séjour de sept mois en 1978 en plein cœur de l’Amazonie chez les Indiens Shuar . On y croise un vieux chasseur édenté qui découvre la lecture et se passionne pour les romans d’amour qui deviennent avec la forêt son autre lieu de rêve.
Dédié à son ami Chico Mendes, ardent défenseur de l’Amazonie assassiné -par ceux qui aujourd’hui soutiennent Bolsonaro, le sinistre dirigeant brésilien- le roman est aussi un livre engagé pour la défense des droits de l’homme et de la nature. “Raconter, c’est résister – dit Luis Sepulveda – à l’empire de l’unidimensionnel, à la négation des valeurs qui ont humanisé la vie et qui s’appellent fraternité, solidarité, sens de la justice.”
Peu de livres sont capables comme Le vieux qui lisait des romans d’amour de réconcilier à ce point tous les lecteurs. Et il est significatif qu’il ait reçu simultanément le populaire Prix Relay des maisons de la presse et le Prix France Culture.
Je revois, comme si c’était hier, entrer à cette époque dans la librairie un homme qui m’affirma tout de go qu’il n’avait lu aucun livre depuis une quinzaine d’années et qu’il fallait impérativement lui en conseiller un.
Je me suis soudain senti investi d’une lourde mission et lui ai mis entre les mains “Le vieux qui lisait des romans d’amour “.
Dès le lendemain, j’ai vu débouler, les yeux exorbités, le même homme, transfiguré, ravi de sa lecture, et réclamant un nouveau livre… et c’était parti!
Le livre de Sepúlveda lui avait ouvert les portes de la lecture…et j’étais un libraire heureux .
Il faudrait beaucoup de temps pour parler du talent de conteur de Luis, de son humour confinant parfois au burlesque, de sa capacité à faire passer le lecteur du rire aux larmes. Il disait qu’il fallait ériger des barricades de livres pour rêver, aimer et lutter.
Romans, romans noirs, nouvelles, récits autobiographiques, livres pour enfants… sa palette était large. Et je me souviens avec émotion de mes nombreuses lectures à mes enfants et petits-enfants de ce conte si émouvant l’ Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler.
En vérité Luis Sepúlveda est aussi vivant aujourd’hui que son maître Ernest Hemingway ou que Joseph Conrad. Il est vivant dans tous ses livres. Il y en a aujourd’hui plus d’une vingtaine , tous disponibles grâce à l’infatigable et passionnée passeuse de mots qu’est Anne-Marie Métailié…et aux libraires plus que jamais indispensables et qui ont absolument besoin de votre soutien en ces moments où leur existence est menacée.
Mes dernières pensées vont à Carmen, l’épouse de Luis, encore davantage marquée dans sa chair par les tortures des sbires de Pinochet- sa poésie en témoigne. Présence discrète et souriante à chacune de nos rencontres avec Luis, elle se bat en ce moment contre le Coronavirus.
Vous trouverez ci-dessous le bel hommage de la librairie Lucioles à Luis Sepúlveda et la photo prise par Daniel Mordzinski !
Nous venons d’apprendre avec beaucoup d’émotion la disparition du grand écrivain chilien Luis Sepulveda, âgé de 70 ans.
Lui qui a survécu à Pinochet, combattu la dictature et enduré l’exil, c’est finalement un sale virus qui aura eu raison de son engagement et de son humanisme.
Vous êtes nombreux, c’est certain, à vous souvenir de ce moment chaleureux passé en compagnie de Luis Sepulveda lors de sa venue exceptionnelle à la librairie en juin 2012, à l’occasion de la sortie de son livre Dernières nouvelles du sud , récit de son voyage en Patagonie, autrefois terre d’aventures et de légendes.
Luis Sepulveda était accompagné de son épouse, la poète Carmen Yáñez, de son ami argentin photographe Daniel Mordzinski et de son éditrice Anne-Marie Métailié.
Après une séance de dédicace à Lucioles, nous nous étions retrouvés quelques trois cents personnes au Théâtre de Vienne pour écouter Luis Sepulveda lors d’un grand entretien mené par Michel Bazin et traduit par Sylvie Protin.
Un moment magique, sous le signe de la fraternité et de l’intelligence, où tout ce joli petit monde avait évoqué avec humour, engagement et émotion, ses parcours de vie, son militantisme, son rapport au monde et à l’écriture.
Un moment magique où l’on ressent les effets du pouvoir régénérateur de la littérature.
S’est écrite ce jour-là, à n’en pas douter, l’une des plus belles pages de l’histoire de la librairie.
Aujourd’hui nous avons le sentiment de perdre un compagnon de route tant les livres de Luis Sepulveda nous accompagnent depuis des années, du désormais grand classique « Le vieux qui lisait des romans d’amour », au sombre « L’ombre de ce que nous avons été » en passant par « Les roses d’Atacama » sans oublier « Histoire d’une mouette et d’un chat qui lui apprit à voler », pour ne citer que ceux-là.
Alors lisons et rendons hommage à ce formidable raconteur d’histoires que sera toujours Luis Sepulveda.
Photo de Daniel Mordzinski lors de la venue de Luis Sepulveda en 2012 à la librairie… ou plutôt en face, dans le Temple d’Auguste et de Livie
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