Claude Chabrol a réalisé près de 60 films en 50 ans et a attiré dans les salles françaises près de 50 millions de spectateurs : qui dit mieux?   Et pourtant il a rarement été primé, pas de César, aucun prix au festival de Cannes pour cet immense metteur en scène à qui Antoine de Baecque vient de consacrer une monumentale biographie (aux éditions Stock). Antoine de Baecque n’en est pas à son coup d’essai: on lui doit des biographies de Godard, de Rohmer, de Truffaut… entre autres. Il était venu présenter à Lucioles une “Histoire de la marche” que je conseille à tous les marcheurs. 

 “Chabrol”, le livre d’Antoine de Baecque, impressionnant d’érudition maîtrisée se lit comme un roman car il n’est pas seulement le portrait d’un homme qui a filmé sa “Comédie humaine” comme un Balzac de notre temps mais un portrait de la France des années d’après guerre au début du XXIème siècle. 

 On découvre l’incroyable érudition cinématographique de Chabrol, ses engagements politiques à gauche, la place de plus en plus centrale de la figure féminine dans son cinéma, son admiration pour Fritz Lang et Hitchcock. 

 J’avais oublié qu’il avait réalisé en 1993, deux ans après “Betty”, “L’œil de Vichy” que la télévision serait bien avisée de diffuser pour montrer avec des images d’archives le vrai visage de Vichy et sa collaboration active avec l’occupant nazi.
   Je suis très heureux d’animer la rencontre avec Antoine de Baecque qui a accepté de présenter ce mardi 1er février à 19h30 à l’Amphi de Vienne à l’invitation de la librairie Lucioles et de Cinéclap un film méconnu de Claude Chabrol tourné en 1991: Betty d’après le roman éponyme de Georges Simenon. 

 “C’est un monstre, mais sans en avoir conscience. Les seules choses qui lui sont ouvertes facilement sont l’alcool et les hommes : c’est par eux qu’elle se sent exister. Elle s’ennuie vite, puis viole sans arrêt les règles et apporte la ruine autour d’elle sans préméditation. Betty, c’est le diable dans le bénitier. Sa vie manque d’être ratée mais elle s’en sort en coulant les autres, et en faisant preuve d’une force de vie formidable.” C’est le portrait que Marie Trintignant fait de Betty qu’elle incarne avec une formidable intensité qui impressionne beaucoup Claude Chabrol: “Marie Trintignant m’a étonné et subjugué plus d’une fois. Elle n’a pas joué Betty, elle est devenue Betty. C’était extraordinaire.”

   Quand on meurt dans la fleur de l’âge (comme Gaspard Ulliel) on parle beaucoup de vous. En revanche la mort, cette semaine, de René de Obaldia, (à 103 ans!), -la lecture de ses livres est un remède à la mélancolie- est passée à peu près inaperçue. Je suis certain que cette indifférence l’aurait amusé, lui dont la première pièce s’appelle “Le défunt”,  lui qui avait déjà, il y a près de trente ans eu le mot de la fin en décrivant dans le dernier chapitre de son “Exobiographie” intitulé “Des Différentes morts de Monsieur le Comte” ( comte, il l’était! ) les mille et une façons de mourir. 

   Je vous en ai choisie une que j’aime bien: 

   “”Cette fois c’est la fin”. Mon cœur bondit d’allégresse dans ma poitrine, une excitation inouïe s’empare de moi : je vais faire la connaissance de mon ange gardien !… Si je pouvais parler : 

 – Ma chérie, j’ai rendez-vous avec mon ange gardien. Suis-je présentable ?… Tu devrais boutonner le col de mon pyjama, me donner un coup de peigne…”
    Je lui avais consacré deux kaléidoscopes (32 et 33 à retrouver ici en tapant Obaldia dans le moteur de recherche ci-dessous.)  pour fêter ses 100 printemps. En voici un extrait:
   René de Obaldia ne fait jamais rien comme tout le monde! À sa naissance à Hong Kong en 1918, on ne lui donne que quelques heures à vivre…et 100 ans plus tard, il est encore là, après avoir écrit à l’âge de quarante ans un roman intitulé “Le centenaire “! Il aime citer la phrase de Picasso: “Il faut beaucoup de temps pour devenir jeune” et un proverbe russe – à moins qu’il ne soit obaldien – “pour devenir centenaire, il faut commencer jeune”. Au moment d’écrire ses mémoires, à 75 ans, il les appelle Exobiographie, histoire de montrer qu’il se regarde comme si c’était une autre personne s’interrogeant sur l’incongruité de l’existence. 

 Cet anticonformiste pousse le paradoxe jusqu’à se faire élire en 1999 ( à plus de quatre-vingts ans ce qui est moins original !) à l’Académie Française dont il est aujourd’hui le doyen. 

  Grâce à François Busnel qui avait organisé, il y a quelques années au théâtre du Rond-Point, une Grande Librairie consacrée à la langue française, j’avais eu la chance de le rencontrer, l’œil pétillant de malice et d’être témoin de sa vivacité d’esprit. 
   J’avais pu lui dire mon admiration pour Tamerlan des cœurs , un roman découvert à vingt ans, dans la collection 10/18, dont les pages s’effeuillent aujourd’hui comme pétales de marguerite. Dans sa belle postface Maurice Nadeau montre à quel point René de Obaldia est allé à l’école surréaliste : “Tamerlan des cœurs” est un roman de poète qui nous conduit de l’épopée de Roncevaux à la conquête du Mexique…sur les traces de Jaime, séducteur au nom prédestiné :”Seul le poète peut se tenir au-dessus de tous les genres et, quand il y descend, sur scène ou dans le roman, nous donne à voir ce que nous n’avons pas encore vu en les transformant subtilement de l’intérieur. Jaime-Tamerlan de Obaldia est ce poète.”


   Le comte René de Obaldia a eu le grand privilège de mourir chez lui, tranquillement, d’un arrêt du cœur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *