L’univers de la bande dessinée a beaucoup évolué depuis quelques années. En même tant qu’explosait le phénomène des mangas, les rayons des librairies voyaient arriver une nouvelle génération d’ouvrages rangés sous l’étiquette de “Récits graphiques”.

   En cette fin d’année,  trois d’entre eux ont attiré mon attention, trois univers graphiques très différents, trois générations de dessinateurs et de scénaristes. Mais, au final, des thèmes communs: l’engagement, une certaine forme d’idéalisme et d’utopie créatrice, des récits de résistance en somme.


“Des Vivants” retrace une page complètement oubliée de notre histoire. Le scénario, que l’on doit à Raphaël Meltz et Louise Moaty, a été construit à partir de plus de mille pages de documents (livres, lettres, journaux, procès-verbaux…). Toutes les phrases du récit ont été dites ou écrites. Le récit graphique met à l’honneur le réseau des résistantes et des résistants du Musée de l’Homme à Paris: “le fait qu’un groupe d’ethnologues ait été le noyau d’un des tout premiers réseaux de la Résistance en France nous a toujours semblé passionnant, d’autant que le Musée de l’homme est un lieu d’engagement dès son ouverture en 1938” expliquent les scénaristes.

   “Résister! C’est le cri qui sort de votre cœur à tous, dans la détresse où vous a laissés le désastre de la patrie. C’est le cri de vous tous qui ne vous résignez pas. (…) Résister, c’est déjà garder son cœur et son cerveau.” Voilà quelques phrases de l’éditorial du premier numéro -évidemment clandestin- du journal de ce réseau intitulé “Résistance” en date du 15 décembre 1940. 

 L’intensité du dessin de Simon Roussin donne vie à tous ces héros ordinaires, calmement prêts à donner leur vie, conscients qu’ils la risquent à tout moment: “Nous finirons tous en prison, c’est inévitable” écrit l’un d’eux. Ils sont “tous frères par la volonté de dire non jusqu’au bout.” Le 13 février 1942, sept d’entre eux seront assassinés par les soldats nazis au Mont-Valérien. 

  Le dessinateur n’a conservé que trois couleurs: violet, turquoise et orange, en plus du noir de l’encre de Chine. Chacun des 20 personnages est croqué en quelques traits de plume et nous sont présentés sur la double page de garde. Parmi eux on reconnaît Paul Rivet, le directeur du Musée et Germaine Tillion. 

 Il faut saluer l’exceptionnelle qualité de l’édition de ce livre de 260 pages. On devait déjà aux éditions 2024 la réédition de “Walt & Skeezix”, une petite merveille de B.D. américaine des années 30 (voir K67).


   Avec “Élise et les nouveaux partisans” Jacques Tardi et sa compagne DominiqueGrange font revivre une autre époque : Élise, l’alter ego de Dominique, jeune chanteuse montée de Lyon à Paris en 1958 pour tenter sa chance se radicalise après mai 68, devient militante de base de la Gauche Prolétarienne et travaille à l’usine. 

 “Élise incarne la volonté de garder bien vivant et de transmettre aux générations d’après ce patrimoine que constituent les luttes du passé pour inspirer celles du futur” écrit Dominique Grange. Le dessin en noir et blanc, immédiatement reconnaissable, de Tardi, qui a consacré de nombreux albums à la Guerre de 14 et aux luttes sociales, restitue toute l’intensité des combats pour la justice de cette époque, du mouvement de Mai 68. Il fait revivre avec force un monde où l’on croyait au “matin du Grand Soir”.


   “Sur les parois de la grotte de Pech Merle, il y a des milliers d’années, des sapiens ont laissé à leurs descendants des souvenirs admirables. À 800 km de là, sous le sol de Bure, en ce moment, d’autres sapiens -et d’une certaine manière les mêmes sapiens- envisagent d’enterrer des déchets nucléaires dont certains resteront dangereux pendant des milliers d’années.” écrit Étienne Davodeau en quatrième de couverture de son nouveau récit graphique: “Le droit du sol” sous-titré “Journal d’un vertige” aux éditions Futuropolis. 

Et c’est ainsi que nous marchons dans les pas d’Étienne qui avance seul, la plupart du temps, accompagné par ses pensées. Le dessinateur convoque virtuellement à ses côtés des chercheurs et des scientifiques qui vont lui expliquer qui étaient ces hommes préhistoriques, à quel point le sol sur lequel il marche est un organisme vivant et l’aberration d’y enfouir à jamais des déchets porteurs de mort ( après en avoir balancé 17000 tonnes au fond des océans!).   L’humour est parfois au rendez-vous des rencontres insolites que fait Davodeau. J’ai aimé l’autodérision dont il fait preuve et surtout ces petits bonheurs d’écriture : “Derrière moi, vaincus par la rotondité de la planète, s’effacent docilement les volcans” ou bien: “L’air immobile vibre en sourdine. La lumière s’alourdit. Les sons s’affaissent un peu. On attend quelque chose. J’ai toujours aimé les moments qui précèdent l’orage.”


   J’espère que vous vous laisserez embarquer comme moi dans ces récits au long cours (de 180 à 260 pages) ou que cela vous donnera des idées de cadeaux. 

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